Vienne à Royaumont : vibrations mélancoliques et rythmes légers
Retrouvez le compte-rendu Ôlyrix du récital précédent, hommage à Ruben Lifschitz.
Les graves de Christian Immler et du piano noyé de pédale d'Hélène Lucas avec ses séries de quatre croches et deux noires résonnent comme un glas dans le Réfectoire des moines. Cheveux, barbe et voix poivre et sel, d'une mâchoire carnassière, le baryton donne de profonds accents à sa ligne grave, vibrée et métallique sans excès. Un appui vocal qu'il ne mène toutefois pas complètement dans des aigus manquant de justesse. Toujours sur Brahms, passant de textes bibliques à des poèmes de Fallersleben, Karine Deshayes choisit une tonalité bien trop grave, commençant "à la cave" d'autant qu'elle illustre les paroles « Dunkel, wie Dunkel im Wald » (Sombre, comme il fait sombre dans la forêt). La glotte ne s'en relèvera pas, les médiums resteront engorgés et les aigus dissonants.
Place aux Lieder de Schubert. Simon Lepper offre l'oxymore romantique, trottinant dans des graves enracinés. Il accompagne Guillaume Andrieux offrant son application et faisant belle figure malgré un souci de résonance et d'aisance. Au contraire, les trilles et broderies de Chiara Skerath sont à l'image des boucles de ses cheveux s'enroulant en un frisson sur la nuque. Tournant avec grâce dans sa longue robe noire liserée d'or, elle déploie « une bien lointaine belle, d’une époque disparue. »
Chiara Skerath à Royaumont (© DR)
Retour à une voix mature, faisant contrepoint à la jeunesse déjà géniale de son accompagnateur Alphonse Cemin, Doris Lamprecht poursuit le récital toujours à Vienne, mais passant des salons aux cabarets, faisant sonner à dessein son portable pour introduire " Le téléphone a sonné pendant la nuit" de Willi Kollo, avant de s'alanguir sur le piano avec sa déclamation chantante. C'est dans ce même esprit que la mezzo-soprano conclut son tour de chant avec Nanna’s Lied de Kurt Weill puis les légères valses, "Dehors, à Sievering" de Johann Strauss et "Vienne, ville de mes rêves" de Rudolf Sieczynski. Dans le répertoire français, elle ménage superbement l'effet de Trois jours de vendange par Reynaldo Hahn, commençant guillerette par la rencontre d'une jupe troussée et d'un pied mignon aux champs d'Avignon, pour sombrer dans son cercueil couvert de velours (poignante et funeste surprise à l'image du Dormeur du Val de Rimbaud) : « La vigne avait trop de raisin, L'Amour avait fait la vendange. »
Stéphane Degout à Royaumont (© DR)
Sur une mélodie à la candide douceur du même compositeur, intitulée Cimetière de campagne (« J’irai, tranquillement faire, Entre mon père et ma mère, Mon dernier dodo »), Stéphane Degout rappelle qu'il conserve cette aisance dans les aigus des grands barytons français (qui fit de lui un Pelléas de référence, même s'il creusera prochainement le sillon de Golaud à l'Opéra Comique). Il reprend ensuite deux mélodies qui faisaient partie de son précédent programme de récital (avec son éloquent passage de l’Athénée à l'Opéra de Lille). En fin de Pintade, il frappe d'autorité le piano comme l'auditoire de sa voix et s'assoit ensuite pour donner la réplique à Guillaume Andrieux sur Daphénéo, une mélodie d'Erik Satie qui n'était pas prévue pour un duo.
Guillaume Andrieux à Royaumont (© DR)
Le bis est une découverte réjouissante, le cahier de mélodies Chantefables et chantefleurs sur les textes de Robert Desnos, interprétés par chaque artiste, chacun son tour, menant « Sur la route de Saint-Tropez, Mimosa Monsieur, mimosa Madame Sur la route de Saint-Tropez, De Saint-Tropez à La Ciotat, Cueillez le mimosa, Cueillez-le pour l’offrir aux dames » et jusqu'à « Trois cents millions de papillons [...] arrivés à Châtillon Afin d’y boire du bouillon ». Plaignez les gens de Châtillon ! mais pas ceux de Royaumont.
Ce concert sera diffusé sur France Musique le 27 janvier 2018 à 20h.