Vienne éternelle, aube et crépuscule à Royaumont
Retrouvez les comptes-rendus précédents du Festival de Royaumont :
- La fine fleur française du récital rayonne à Royaumont
- Vienne à Royaumont : vibrations mélancoliques et rythmes légers
Souriante, intense, écarquillée, le vibrato rapide et tendu, romantique dans l'esprit, la mezzo-soprano Marion Lebègue enchaîne naturellement le Matin de printemps et le nostalgique Souvenir de Mahler. Ses sauts de sixte ascendants, très doux ou très puissants sont le plus éloquent exemple de cette voix maîtrisée jusqu'au seuil des aigus et du fortissimo. La prononciation allemande est attentionnée, les h fort aspirés, les ch bien grasseyés, les s bourdonnants. Elle conte, comme une histoire à des petits enfants les Sept chants de jeunesse d'Alban Berg. L'ouverture des yeux accompagne celle de la bouche sur les ou, les a, les i. La justesse et le rythme sont tout aussi méticuleux. Les Lieder d'Alban Berg ont ainsi toute la modernité de leur récitation naturelle, mais aussi leur héritage harmonique du romantisme.
Le chant enchaîne les crescendi vocaux avec un tropisme vers l'aigu où la voix brille de résonances. Les quelques notes poitrinées donnent envie d'entendre davantage le registre grave de la mezzo. Malgré son jeune âge, Marion Lebègue a déjà l'amplitude vocale nécessaire pour interpréter un sommet dramatique tel que Morgen de Richard Strauss dans un réfectoire Gothique. Nul doute qu'elle acquerra la maîtrise d'un vibrato qui doit savoir s'élargir pour suivre l'amplitude de la ligne.
La pianiste Johanne Ralambondrainy semble souffrir un martyr d'émotion, son visage bientôt écarlate et suintant (à l'image de sa chanteuse) se tord de grimaces sur chaque accord, mais nulle tension ne se transmet à son jeu. Seulement l'expression, qu'elle accompagne en chantant silencieusement chaque accord, dans une langue inconnue des hommes. Surtout, les silences qu'elle ménage, haletants, font parcourir des murmures et des frissons dans le public.
D'un rythme extrêmement mouvant, le mariage composé par Mahler et réemployé dans sa Première Symphonie, "Wenn mein Schatz Hochzeit macht" (Quand ma bien-aimée fêtera ses noces) est tour à tour une noce de Sabbat et un glas funèbre. Les excès sont poignants. Vivement que Marion Lebègue interprète ces cycles avec orchestre : même le filin vibré de son aigu et sa voix blanche grave passeraient une fosse.
Un bon plat musical roboratif que celui-ci, pris dans le réfectoire des convers, avant de se rendre au réfectoire des moines pour une Symphonie lyrique. Mais avant, une petite pause s'impose dans la cafétéria, appartenant elle aussi au patrimoine architectural cistercien XIIIe siècle.