Splendeurs de la Renaissance au Festival d’Ambronay
En 1555, Clément Janequin compose La Bataille, une messe polyphonique en l’honneur de la victoire de François Ier à Marignan, en 1515. Cette œuvre est un succès international qui marque notamment le musicien espagnol Tomàs Luis de Victoria (c. 1535-1608). Ce dernier s’en inspire pour composer en 1600 une Messe pour double chœur, l'un de quatre voix et l’autre de cinq, soit neuf voix, nombre des chœurs angéliques. Cette Missa pro Victoria (messe pour la victoire) est une messe de bataille polyphonique dédiée au roi Philippe III.
Le musicien et Directeur de l’Ensemble Doulce Mémoire, Denis Raisin Dadre, explique que dans un souci de reproduction des sonorités des chapelles espagnoles, les chanteurs sont ce soir parfois doublés par des instruments à vent, joués par les ministriles (bassons, chalémies – à anches doubles –, flûte). Ceux-ci sont accordés selon leur diapason d’origine très haut, de 520 Hz (le la actuel étant de 443 Hz ; soit d’une tierce mineure de plus). C’est aussi la reconstitution d’une grande cérémonie liturgique, centrée sur la messe, qui est proposée : la Chapelle de Musique chante la messe, constituée des meilleurs chanteurs, ici les chanteurs de Doulce Mémoire. La Chapelle de Plain-Chant intervient pour le plain-chant grégorien, ici les six Chantres de l’Abbaye royale de Saint-Riquier entourés d’un chœur d’hommes amateur formé pour l’occasion, avec les ministriles, musiciens de Doulce Mémoire.
La soirée commence par une procession, le tambour résonnant d’abord depuis l’entrée de l’abbatiale, rejoint par les chalémies (l'ancêtre du hautbois) pour une Pavane, et suivis par les chanteurs. Ils avancent le long du public pour se placer sur scène, la Chapelle de Plain-Chant allant jusque derrière l’autel, presque cachés. Dès l’Introït de la messe s’entendent les effets de stéréophonie du double chœur, amplifiés par la doublure des vents. Denis Raisin Dadre étant occupé à la doulçaine (instrument à anche double proche du hautbois), c’est un chanteur qui assure simplement la battue. Celle-ci n’est sans doute pas sa priorité, accusant parfois un léger retard sur le chant, d’où peut-être les trop fréquents manques de précision sur les attaques de consonnes et les coupes de fins. Les musiciens eux-mêmes ne semblent pas être toujours très attentifs : exemple frappant, un flûtiste a pu jouer durant toute une partie de l’Agnus Dei alors qu’il ne le devait pas, sans même s’en rendre compte (malgré le regard noir de son directeur). Le contrepoint à neuf voix distinctes semble faire entendre un ensemble hétérogène, ce qui est amplifié par la doublure par les instruments à anche, au timbre sonore et naturellement nasillard, et les sacqueboutes (ancêtres du trombone).
Cependant, lorsque les chanteurs changent de position, pour le Salve Regina, accompagnés cette fois par les flûtes à bec, l’effet est beaucoup plus homogène. C’est particulièrement le cas pour le solo de la basse, accompagné de trois flûtes à la place de trois voix sur le « et, Jesum, benedictum fructum ventris tui » (Montrez-nous Jésus, le fruit béni de vos entrailles). Grâce à cet ensemble, la fin de cette partie, sur « O clemens, o pia » (Ô clémente, ô miséricordieuse) fait preuve de très jolies couleurs. C’est que les voix des chanteurs de Doulce Mémoire sont agréables, particulièrement les voix aiguës des altos et des sopranos, lumineuses, malgré l’aspect un peu tendu causé par le très haut diapason. C’est aussi la cause d’un manque de rondeur, les basses étant plus proches de la tessiture baryton. C’est aussi les femmes qui sont les plus expressives, montrant de belles intentions physiquement et vocalement – notamment de sublimes piani –, sans excès. Les hommes, sans exception, restent droits et sérieux. Les interventions instrumentales font entendre des pavanes antiphonées (des antiennes liturgiques) dansantes ou un tendre Regina Cæli, par l’ensemble de flûtes à bec, malgré quelques petites imprécisions de justesse dues à la facture des instruments d’époque.
Les interventions du plain-chant sont très bienvenues, les chantres de l’Abbaye royale de Saint-Riquier montrent leur maîtrise de la technique et de leur souffle. Le chœur d’hommes qui renforcent certaines parties est très bien préparé par Igor Bouin et Jérémy Arcache. Placés derrière l’autel presque face aux vitraux, le son de leur voix y est réfléchi pour atteindre indirectement les oreilles des spectateurs, au travers de l’architecture de l’abbatiale.
C’est par le plain-chant rythmé du tambour que reprennent les chanteurs et les musiciens pour sortir par le devant de l’abbatiale, passant par le cloître de l’abbaye et revenant sur scène pour des saluts chaleureux. Après quelques rappels, les ensembles reprennent le chant de la procession, invitant le public à chanter avec eux.