La passionnée cetra amorosa de Jaroussky & Pluhar à Ambronay
La soirée concoctée par Philippe Jaroussky et Christina Pluhar pourrait être comparée à un opéra italien imaginaire en trois actes du XVIIe siècle, suivi d’une œuvre religieuse. Tout naturellement, l’Arpeggiata, dirigé par Pluhar qui joue de son théorbe, commence par la Toccata introductive de la Favola di Orfeo (1607) de Monteverdi (1567-1643). Tout de suite, le public est plongé dans le son intimiste de l’ensemble constitué de neuf talentueux musiciens. L’équilibre des deux dessus est toutefois parfois perturbé : le cornet à bouquin sonore (sa sonorité est proche de celle de la trompette) couvrant facilement le violon baroque au son plus doux – dont il faut saluer la tendresse lors de certaines de ses interventions. Dès le début, avec deux airs du même opéra Rosa del ciel (Rose du ciel) et Vi ricorda, O boschi ombrosi (Vous souvenez-vous, ô bois épais), Philippe Jaroussky fait entendre sa technique irréprochable, sa diction parfaite, sa projection naturelle et l’homogénéité de sa voix sur toute sa tessiture. Il n’en fera défaut nulle part tout le long du concert. Pour accompagner physiquement son chant, il use de ses bras, de ses mains et de sa tête, avec souplesse et élégance.
Lors de la Ciaccona de Maurizio Cazzati (c. 1620-1678), sur une basse obstinée aux allures de jazz, chaque musicien de l’ensemble sur instruments d’époque a l’occasion de montrer son expressivité ou sa virtuosité. Dans l’extrait de l’Orfeo de Luigi Rossi (1597-1653) et le Si dolce e’l tormento de Monteverdi, Jaroussky se fait conteur, avec des intentions produites et accentuées par des jeux de nuances et de résonances. Toutefois, son timbre, certes très joli, ne varie jamais. Ces pièces sont aussi l’occasion d’apprécier la justesse incroyablement impeccable du contre-ténor et des musiciens. Dans la dansante et amusante Damigella, tutta bella de Monteverdi, Jaroussky se fait même comédien, avant la superbe berceuse Oblivion soave, extrait du Couronnement de Poppée. Ses longs pianissimi tiennent le public attentif jusqu’au silence, grâce aussi aux très jolies couleurs de l’accompagnement tendre du théorbe.
Dans les airs de Francesco Cavalli (1602-1676) – Erme e solinghe cime, Ninfa bella, Che Città –, fameux compositeur vénitien au temps des grands castrats, le contre-ténor touche et son souffle impressionne. Après un rythmique Canario instrumental de Lorenzo Allegri (1582-1652), il fait preuve de virtuosité dans le Presso l’onde tranquille du chanteur et compositeur Giovanni Felice Sances (c.1600-1679). Enfin, son Stabat mater, introduit par un joli et lyrique duo violon/théorbe, est une superbe et bouleversante démonstration des talents du chanteur et des musiciens, autour de cette basse obstinée hypnotique.
Philippe Jaroussky (© Bertrand Pichène / Pictoria)
Le public enchanté a droit à non pas un bis, ni deux, mais à trois œuvres qui font presque même office de troisième partie de concert, de même qualité mais plus conviviale. Dans l’enjoué Laudate Domine de Monteverdi, Philippe Jaroussky fait entendre pour l’unique fois sa voix de poitrine et son grave, l’accompagnant même du geste, comme pour prouver que malgré son étiquette il possède des graves, ce qui amuse le public. Le bis est l’occasion de sortir de la ligne directrice du programme pour interpréter l’émouvante lamentation de Didon, dans Didon et Énée de Purcell, When I am laid in earth, après lequel le superbe silence de fin aurait pu être un peu mieux apprécié par les spectateurs enthousiastes. Pour finir vraiment la soirée, un habituel final de l’Arpeggiata, l’amusante Ciaccona del Paradiso e del Inferno, d’un compositeur anonyme de 1675. Le cornettiste répond en chantant – belle voix de baryton à la diction excellente – au contre-ténor, comme une sorte de joute où l’applaudimètre du public est sollicité, accentuée par des jeux de scène et même quelques accessoires (lunettes de soleil, brassard d’agent de sécurité). Évidemment, cette audace comique amuse fortement le public qui était déjà enchanté par les belles qualités du contre-ténor et de l’ensemble de Christina Pluhar.