Les Vêpres de Monteverdi à Saint-Denis : un chef-d’œuvre dirigé de main de Maître !
Toujours sans doute dans la perspective de célébrer Claudio Monteverdi (1567-1643), le Festival de Saint-Denis, après un bel Orfeo, propose la stimulante lecture de Sir John Eliot Gardiner, des Vêpres de la Bienheureuse Vierge Marie (Vespro della beata vergine), autre chef-d’œuvre incontesté du maître.
Publiées avec la Messe In illo tempore, en 1610 avec une dédicace au Pape Paul V, ces Vêpres à la Vierge Marie avaient été créées (ente 1607 et 1610), sous une forme plus rudimentaire (10 chanteurs et une basse continue) lors des cérémonies dédiées à Sainte Barbara, la sainte révérée dans la Basilique Palatine éponyme de la ville de Mantoue. Monteverdi était malheureux à la Cour de Mantoue qui l’employait : il caressait le secret espoir de pouvoir changer de cadre pour continuer à œuvrer. Ces vêpres remaniées et amplifiées, lors de la publication (avec solistes, chœurs, continuo et instruments divers), constituaient pour lui une carte de visite, un témoignage exhaustif de son savoir faire, adressé au Pape lui-même, pour le séduire et le convaincre de ses grandes compétences, tant dans le style antique que dans les innovations et dans l’articulation judicieuse des deux, comme il l’expérimente dans ces vêpres. La démarche n’aboutit pourtant pas et Monteverdi doit attendre 1613 pour être nommé Maître de chapelle à la Basilique Saint-Marc de Venise où, lucides sur ses qualités exceptionnelles, les édiles de la ville lui réservèrent le meilleur accueil.
Monteverdi, qui devait publier un traité de composition (mentionné dans sa correspondance) ne le fit pourtant pas et on peut considérer ces Vêpres (associées à Orfeo et au « Livre VIII des madrigaux »), comme un grand traité de composition (une véritable poétique musicale), mais en acte ! La publication se présente comme un recueil hétérogène non destiné à une date précise du calendrier des célébrations mariales. Chaque pièce, très développée, est d’une telle richesse combinatoire et d’une telle inventivité qu’il n’est pas imaginable qu’on ait pu à l'époque penser les exécuter toutes à la suite, comme le veut l'actuelle tradition de concert, pour notre plus grand plaisir.
Sir John Eliot Gardiner (© Sim Canetty-Clarke)
John Eliott Gardiner qui a dirigé et enregistré l’œuvre maintes fois ne se contente pas d’une version routinière, qui résulterait de sa longue expérience, il propose une interprétation exaltée de l’œuvre, empreinte de spiritualité, épousant avec fougue les élans de la musique, pour flotter à l’envie dans les moments de stase. Il est secondé pour cela par les musiciens efficaces de l’ensemble English baroque soloists, excellents et surtout le fantastique Monteverdi Choir, dont la réputation qui n’est plus à faire et n’est vraiment pas surfaite. C’est une formation exceptionnelle, avec des pupitres solides (différents d'une tradition de voix blanches anglaises des années 1990) et sonores, pleins de santé et de couleurs, abritant les chanteurs qui exécutent ce soir les parties solistes : Francesca Boncompagni et Emanuela Galli (sopranes), Michal Czerniawski comme magnifique alto, Krystian Adam, Peter Davoren et Gareth Treseder (ténors), Alex Ashworth, Robert Davies et Gianluca Buratto (basses), tous formidables de talent vocal et musical, ainsi que d’engagement interprétatif !
Au fil des diverses pièces, le chant se fait murmure, caressant et suspendant le temps, puis tempête emportant tout sur son passage. La justesse époustouflante des chanteurs rend lisible les architectures élaborées subtilement par Monteverdi. Tout en faisant « chœur », ce sont pour une fois les instruments qui montrent (très peu, mais parfois) des signes de faiblesse (les cornets, notamment).
Toutes les pièces de l’œuvre sont magnifiques, citons la première (Domine ad adjuvandum) où se retrouve astucieusement mêlée aux lignes du chant, la toccata introductive de l’Orfeo (composé un an auparavant), puis la sublime Sonata sopra « Sancta Maria, ora pro nobis », où le pupitre sopranos fait merveille, et enfin le Magnificat final, parfaite dans sa conception et sublimé par cette interprétation.
Sir John Eliot Gardiner est bel et bien sur terre, l’ambassadeur éclairé et éclairant de Claudio Monteverdi !
Admirez cette œuvre, ce chef et ses ensembles instrumentaux et choraux à la Chapelle Royale de Versailles en 2014 :