Lisette Oropesa, Gilda surprise dans Rigoletto à Bastille
Nadine Sierra souffrante, l’opportunité est donnée au public parisien des deux dernières représentations de Rigoletto de (re)découvrir une autre jeune soprano prometteuse en la personne de Lisette Oropesa (qui a déjà chanté Konstanze dans l'Enlèvement au Sérail
Lisette Oropesa (© Jason Homa)
Claus Guth, le metteur en scène, imagine Rigoletto quelques années après le drame (interprété muettement par Henri Bernard Guizirian). Sa vision de l'œuvre nourrit les discussions à l’entracte, de nombreux spectateurs cherchant à analyser et décrypter cette proposition. Vieilli, ployant sous le poids de ses souvenirs, la raison égarée, le célèbre bouffon promène les effets de sa fille dans un carton, ressassant ses erreurs dans une sorte de songe cauchemardesque, peuplé des fantômes de Gilda à différents âges et de courtisans dont la gestique et les chorégraphies (signées Teresa Rotemberg) peignent assez leur cynisme aigu et moqueur, créant un certain malaise pour le spectateur. Parmi eux, Julien Dran, très impliqué dans le jeu scénique, chante Matteo Borsa de son timbre clair et vif. Mikhail Timoshenko campe un Comte Ceprano moqueur et bravache d’une voix large. Enfin, Christophe Gay est un Marullo dynamique et à la voix bien projetée.
© Monika Rittershaus
Pour mieux appuyer sur la responsabilité de Rigoletto dans la mort de sa fille, Sparafucile a le même costume que lui et se meut en miroir. Kwangchul Youn, terrible de noirceur, offre au personnage sa voix profonde et ténébreuse, puissamment émise. Il tient magnifiquement la note finale de sa première intervention, dans les extrêmes graves. Sa sœur Maddalena est campée par Elena Maximova, habillée de cuir, un fume-cigarette aux lèvres et entourée de danseuses de cabaret. Ses aigus sont puissants et ses graves sont clairs mais plus difficilement projetés.
Dans le rôle du Duc, Vittorio Grigolo (qui reviendra l'an prochain en Rinuccio dans Gianni Schicchi
Vittorio Grigolo (© Charles Duprat / Opéra national de Paris)
Dans le rôle-titre, Željko Lučić semble fatigué en cette dernière représentation de la série, se mouvant peu sur la scène et peinant à faire ressortir les émotions de son personnage lorsqu’il constate l’enlèvement, le déshonneur puis la mort de sa fille. La voix est en revanche assurée et brillante, distillant de lumineux aigus avec un grand sens de la nuance : le duo du père et de sa fille à la fin de l’acte I est magnifique.
La galerie de personnages présentée dans l’œuvre inclut également Giovanna, la suivante de Gilda, interprétée par Marie Gautrot, qui offre une grande consistance vocale, notamment dans les graves qu’elle a fort beaux. Veta Pilipenko est une Comtesse de Ceprano au large vibrato. Robert Pomakov est un Monterone tonnant mais dont la voix manque de profondeur. Le page de Laure Poissonnier apporte sa fraîcheur mais manque de volume sonore. Enfin, Christian Rodrigue Moungoungou est un huissier bien audible à la voix sombre.
Daniele Rustioni dirige l’Orchestre de l’Opéra de Paris, lugubre plutôt que festif dans l’introduction, souvent inspiré, parfois lourd mais maître d’une tension absolue dans le finale. Lorsque Monterone maudit Rigoletto, les violons tranchants semblent transpercer le bouffon d’une multitude de coups de poignards. Parfois, un ralentissement subit et restreint dans le temps permet de souligner un sentiment fugace chez un personnage. Le Chœur, puissant et riche en timbres, souffre de décalages rythmiques, comme il en a l’habitude depuis quelques mois. Le public enthousiaste se lève pour Lisette Oropesa, déjà adoptée par le public parisien. La grande absente du jour, Nadine Sierra, reprendra quant à elle son rôle dans quelques jours, mais aux Chorégies d’Orange, cette fois.