Petits Contes d’Hoffmann à Metz
Les Contes d'Hoffmann, drôle d'opéra ! Pas si drôle en fait, même si le burlesque y est souvent convoqué. Dernier opus composé par Offenbach en 1881, qu'il n'achèvera pas (l'orchestration en particulier) : l'œuvre complétée sera donnée après sa mort et connaîtra d'emblée un succès non démenti depuis. Ce « péché » originel a fait que nombreuses ont été les « versions » présentées à la scène depuis la création (avec variantes, coupures et ajouts). Celle de ce vendredi n'échappe pas à la règle proposant là aussi semble-t-il un compromis entre diverses solutions antérieures.
© Arnaud Hussenot – Opéra-Théâtre de Metz Métropole
L'opéra commence avec la Muse (ici Jordanka Milkova) qui sollicite l'amour d'Hoffmann (Jean-Pierre Furlan en artiste, poète, compositeur) qui la néglige et se dédie aux plaisirs sensuels. À la boisson, par plaisir et/ou dépit (ce qui occasionne nombre de morceaux dans la veine « gauloise » plus habituelle du compositeur, avec notamment le chœur introductif « Glou, glou... » par exemple), mais aussi à l'amour, pour lequel il semble enfermé dans une « structure d'échec ». Cependant que Stella (Norah Amsellem) dont il est épris chante sur scène (dans Don Giovanni), Hoffmann est sollicité par ses compagnons de beuverie pour raconter ses amours passées, ce qu'il fera au cours de trois récits (actes II avec Olympia, III avec Antonia et IV avec Giulietta) mettant en scène sa « structure » d'amour impossible, impossibilité engendrées par les actions néfastes d’une figure récurrente incarnant le mal, qui le poursuit de sa vindicte sous divers noms (Lindorf, Coppelius, Docteur Miracle, Dapertutto : Homero Pérez-Miranda). L'opéra se conclut sur un dernier échec avec Stella qui le néglige, puis l'écarte. Redevenue elle même, la Muse alors lui propose in fine une rédemption par l'exercice de l'art.
Jean-Pierre Furlan, Jordanka Milkova et Homero Pérez-Miranda (© Arnaud Hussenot – Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Sur le plan dramaturgique cela permet de décliner quatre fois la même histoire, dont la mise en musique n'est pourtant pas véritablement pensée transversalement. La figure de la femme impossible à aimer se déclinera de quatre manières différentes (possiblement incarnées par la même interprète) : elle n'est qu'une illusion (Olympia, la « poupée »), elle est « mortifère » (Antonia, la chanteuse), elle est maléfique (Giulietta, la courtisane) et elle est volage (Stella, la cantatrice), donnant lieu à trois « tubes » (« Les oiseaux dans la charmille… », « Elle a fui la tourterelle… » et le duo « Belle nuit... »). Le personnage antagoniste est lui aussi généralement incarné par le même interprète (avec également un « tube » : « Scintille diamant… »), ce qui sera le cas également pour un dernier élément transversal constitué par le domestique (rôle burlesque).
Le spectacle donné à Metz est mis en scène par Paul-Émile Fourny dont la carrière n'est plus à décrire. Il adopte la dramaturgie qui consiste à concentrer en un les caractères récurrents, dans une scénographie habile, où dans un décor unique, un petit théâtre permet de faire varier les lieux et les temps des divers épisodes. La mise en scène simple et directe, sans démonstration particulière, est assez linéaire, narrant au mieux les événements. Les chanteurs ne sont pas tous des acteurs, même si certains assument parfaitement les injonctions de la mise en scène. Le Chœur de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole en particulier qui, très nombreux, est utilisé au mieux et avec efficacité sur le plan scénique. Les décors (Poppi Ranchetti), costumes (Giovanna Fiorentini) et lumières (Patrick Méeüs) se conjuguent avec bonheur au projet du metteur en scène.
Norah Amsellem, décors de Poppi Ranchetti et costumes de Giovanna Fiorentini (© Arnaud Hussenot – Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
L'Orchestre national de Lorraine (un peu réduit par la taille de la fosse) ne démérite pas malgré une direction un peu décevante et routinière de Jacques Mercier, qui laisse mal percevoir une conception particulière de l'œuvre.
Les chœurs, associant les artistes de Metz et de l'Opéra National de Lorraine (Nancy), préparés par Nathalie Marmeuse et Merion Powell, sont parfaitement à la hauteur, et parfaitement applaudis en retour. Parmi les artistes du chœur, Thomas Roediger incarne le tavernier Luther, alors qu'Éric Mathurin, avec une voix de ténor déconcertante (blanche et terne bien que sonore) incarne Nathanaël. Une très belle surprise néanmoins, avec Marie-Émeraude Alcime, qui dans le rôle de la mère, fait entendre sa voix somptueuse et généreuse.
Bien qu'interprétant un rôle moindre, le baryton Germán Enrique Alcántara, en Hermann (compagnon de beuverie) et Schlémil (rival d'Hoffmann auprès de Giulietta) fait montre d'une belle vaillance vocale, très prometteuse ! Luc Bertin-Hugault (basse) propose un Crespel (père d'Antonia) très touchant et convainquant, malgré une relative raideur scénique.
Homero Pérez-Miranda et Rodolphe Briand (© Arnaud Hussenot – Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Raphaël Brémard, ténor, en charge des quatre rôles burlesques de domestique (Andrès, Cochenille, Frantz et Pittichinaccio) est parfait, avec une très belle voix, une incarnation convaincante des personnages tant vocalement que scéniquement. Rodolphe Briand enfin, sait, avec sa belle voix de ténor et ses très grandes qualités de comédien, incarner efficacement Spalanzani (le père d'Antonia).
Pour ce qui concerne les rôles principaux, citons tout d'abord Jordanka Milkova, belle voix de mezzo soprano, à la fois touchante et lyrique en muse, et un peu moins convaincante en Nicklausse (rôle travesti), où, en sus d’un jeu assez neutre, la voix un peu juste en largeur, ne pourrait sans doute pas assumer le rôle dans un théâtre de plus grande taille (pour l'instant). Néanmoins un bel engagement scénique, une prononciation globalement efficace et une belle prestation musicale (et quelques beaux moments vibrants d'émotion tout de même) en font une artiste à suivre.
Homero Pérez-Miranda est un baryton qui a de la prestance, une voix assez jolie, et vraisemblablement une conception subtile, transversale du rôle quadri-face qu'il assume ici. Cependant, les subtilités (mezza voce, mezzo forte), toutes judicieuses qu'elles puissent être doivent être perçues pour faire leur effet. M. Miranda a un défaut de largeur (méforme passagère ou défaut structurel ?) surtout dans le medium, qui, malgré une salle de petit format et un orchestre de taille moyenne, l’a fait se trouver couvert par l’orchestre maintes fois, et en particulier dans « Scintille diamant ». La prononciation est le plus souvent correcte, mais assez souvent approximative (voyelles, syllabes inversées). Il n’a pas non plus une présence magistrale, même s'il semble à l’aise scéniquement. La voix manque de noirceur, et ce défaut résonne sur une présence assez neutre qui rend la tâche difficile pour les autres : comment par exemple, Crespel pourrait-il déployer tant de crainte et d’hostilité face à lui ?
Norah Amsellem et Jean-Pierre Furlan (© Arnaud Hussenot – Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Norah Amsellem est une soprano dont la notoriété, dans ce rôle également, n’est plus à faire. Elle possède l’assurance de celles qui maîtrisent les choses ! Cela se voit, cela s’entend souvent aussi. Elle a un véritable sens dramatique et déploie donc une stratégie transversale efficace pour caractériser et incarner les diverses facettes de cette femme impossible à aimer. Une Olympia (dont l’écriture dans une version plus colorature n’est pas dans ses moyens) qui chante avec une sorte de mécanicité vocale qui la rend convaincante. Une Antonia, à la fois ingénue, amoureuse et mortifère, ce qui fait de l’air « Elle a fui la tourterelle » bien autre chose que la jolie mélodie niaise que serinent les sopranos légères habituellement. Elle est parfaite également dans les deux rôles négatifs, Giulietta, demi mondaine distante et Stella, froide et cruelle. Quelques aigus vibrés un peu trop largement, quelques sons suraigus stridents, quelques mots aussi proférés dans l’aigu en y omettant les consonnes pour faciliter les choses (« eu ai ai ») éloignent toutefois sa prestation d'une inaccessible perfection. Plus frustrant, les duos (les ensembles en général) ne parviennent jamais à une harmonie de timbres, ce qui pour les duos amoureux est un peu fâcheux.
Jean-Pierre Furlan (© Arnaud Hussenot – Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Le triomphateur de la soirée est sans conteste Jean-Pierre Furlan (qui nous avait accordé une interview voici quelques mois), qui un peu souffrant a tenu à assurer cette première et a su y tenir son rang. Un ténor de grande qualité, qui a derrière lui une solide carrière sur de nombreuses grandes scènes internationales. Quelques auditeurs pourraient être réservés sur le timbre de la voix (c’est là un critère très subjectif), mais tous devront saluer le musicien, le vocaliste et l’artiste. Il a, et largement, le format, les moyens de défendre ce rôle, dans les plus grands théâtres. La voix ici, paraît parfois surdimensionnée (ce qui n’est en rien de sa faute). Voix longue, sonore, avec un haut medium très corsé et un aigu vaillant. Dans un rôle assez athlétique, car il chante tout le temps. Il y a de très beaux moments dans sa partie, mais dont aucun ne fait partie des tubes qui font la gloire de cet ouvrage. Il incarne donc très efficacement, vocalement et scéniquement, cette sorte de « passion » d’Hoffmann, traversant ces contes (plus proches de cauchemars, récurrents avec variations, que de contes oniriques). À la reprise, à la fin de la scène de beuverie (qui conclut les récits), il entonne à nouveau la chanson de Kleinzach, qui, légère au début de l’œuvre, se charge ici de pathétique et frôle le « grotesque et le sublime » (Hugo) des romantiques !