Jaroussky & Friends ! La Seine Musicale inaugure son Académie
L'Académie musicale Philippe Jaroussky a -au moins- un point commun avec l'Ena : ses promotions portent des noms célèbres. À tout seigneur, tout honneur, la première promotion s'appelle "Mozart". Cinq de ses lauréats font montre de leurs talents durant la première partie du concert. Ils déploient leur jeunesse enthousiaste et prometteuse dans la douceur d'un air Mozartien, l'engagement opiniâtre de l'Appassionata Beethovenienne, l'élégie feutrée d'une forêt bohémienne par Dvořák, le pas-de-deux agile du Casse-Noisette de Tchaïkovski.
Place ensuite à leurs professeurs instrumentistes, accompagnant Philippe Jaroussky et Karine Deshayes. L'Ouverture d'Eliogabalo (chroniquée pour l'ouverture de cette saison à Garnier) s'enchaîne sans transition aucune avec le bijou final de l'ultime opéra de Monteverdi : "Pur ti miro" (Le Couronnement de Poppée). Sortant chacun d'une porte de part et d'autre de la scène, les deux interprètes s'approchent en se mirant, réjouis comme Poppée et Néron d'être enfin réunis. S'ils respectent la lettre du texte, il n'en va pas de même pour son esprit (la sensualité du duo n'étant pas encouragée par l'exercice du récital de gala). Toujours sans transition, Poppée devient Didon en lamentation et Néron se transforme en Rinaldo. Certes, par définition le récital enchaîne des opéras différents, mais quelques secondes seraient tout de même bienvenues entre de tels univers. Heureusement, le concert étant enregistré, les besoins techniques imposent parfois des interruptions, notamment entre les parties baroque et classique. Cela permet à l'auditeur de se préparer aux nouveaux personnages et au spectateur d'applaudir aussi chaleureusement que possible ces artistes investis.
L'ensemble de cette longue soirée est en effet un modèle de générosité, un hommage rendu par Philippe Jaroussky et Karine Deshayes à la jeune génération d'interprètes, à cette salle et au répertoire lyrique aigu. Les deux voix mêlées rayonnent dans les alvéoles boisées de cette ruche musicale. La qualité et l'affabilité restent remarquables, jusqu'à la fin du concert, grand-guignol. Les interprètes se déguisent en indiennes pour le "Duo des fleurs" (Lakmé de Léo Delibes). Puis, la lumière s'éteint, le pianiste se couvre les yeux. Il ne se lance pas le défi de jouer les yeux fermés, car il s'agit en fait d'un bandeau de cambrioleur, également porté par Jaroussky et Deshayes qui entrent en tapinois avec des lampes torches. Ces monte-en-l'air se battent pour dérober un collier de perles, en chantant le Duo des chats de Rossini. Le rapport entre le morceau musical et ce sketch est ténu. Il repose peut-être sur la discrétion commune au chat et au voleur, au chat-pardeur en somme. Cette ambiance bon enfant se prolonge toute la soirée, même involontairement pour l'Ouverture de Carmen donnée avec piano et quintette à cordes, mais sans la justesse. Au point que même Deshayes en oublie complètement les paroles de la Habanera, qui n'est pourtant pas un air méconnu (Si je t'aime, prends garde à toi !). Jaroussky fait rire le public en brandissant son antisèche. Il savonne pourtant tout autant. Il faut dire que le contre-ténor n'a pas souvent l'occasion de chanter Carmen. Après les petits soldats de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, le Final du concert est celui de La Belle Hélène d'Offenbach et le bis la Barcarolle des Contes d'Hoffmann.
Une belle rentrée des classes pour cette Académie, une nouvelle raison pour le public et Philippe Jaroussky de revenir sur l'Île Seguin.