Sindbad et les migrants à la Cité de la musique
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Le voyage commence bien avant la musique, dès les portes franchies de la Cité de la musique (renommée Philharmonie 2 depuis l'inauguration de l'immense vaisseau acoustique qui lui fait face). Le public parisien cosmopolite d'un dimanche matin ensoleillé brille de couleurs et d'accents (surtout ceux des mamans qui font rêver leurs enfants en leur racontant les voyages fantastiques de Sindbad le marin). Ce public bon enfant bruisse longuement d'applaudissements chaleureux pour accueillir chacun des instrumentistes (en noir sobre) et des choristes aux voiles pailletés et masques de fer.
Bien que modérés en nombre, en nuances et placés de côté, les musiciens de l'Orchestre de Paris dirigés par la noble assurance de Lionel Sow couvrent les belles notes rayonnantes et très travaillées de la soprano Laura Holm. Interprétant Shéhérazade, elle guide le peuple errant, de sa voix, lointain phare nocturne.
Laura Holm et Jérémie Schütz dans Gianni Schicchi Nancy (© Opéra national de Lorraine)
Au son du hautbois pincé oriental et au rythme de la darbouka qui vient pimenter un petit ensemble classique, les jeunes interprètes esquissent des ondulations, rompues brusquement par des mouvements saccadés. La partition sera toute entière à l'image de cet enchaînement oxymorique, passant des bombes en contre-temps barbares à des stases méditatives angéliques. Le message est clair : la guerre peut frapper à tout moment. Les différentes escales de Sindbad enchaînent ainsi des ambiances absolument divergentes, sans transition aucune. Son navire le mène si vite d'un port à l'autre, qu'il ressemble plus à un jet privé qu'à un voilier.
En chemises de bure et pantalons rapiécés ceinturés par des cordelettes, les jeunes matelots répètent les gestes marins sur un rythme obstiné des cordes (rappelant du Steve Reich ou du Philip Glass), mâtiné d'une clarinette nostalgique, qui emporte une mélodie mélodramatique. Le chant cristallin et plein de souffle des moussaillons perdus porte une vague d'émotion. Toutefois, l'immersion ne peut être complète face à ce texte en anglais, qui contraint à lire les sur-titres, à les déchiffrer, à les deviner ou à demander l'assistance d'un parent pour les plus jeunes. Certes, l'anglais est roi à l'ère des mondialisations, mais quitte à employer une langue étrangère, la cohérence et l'intérêt du rapport entre la musique et le voyage auraient été renforcés si le marin Sindbad rencontrait différents dialectes au fil de ses escales (comme il rencontre différentes musiques).
Lionel Sow (© A. Deniau)
Mathieu Gardon incarne un Sindbad philosophe et distant, mais qui protège affectueusement son équipage par une voix sonore, tendue d'intensité. Le héros guide son jeune peuple à travers les déserts et les mers. Protégés d'écailles, ils forment des tortues romaines, avant de composer la proue d'un navire avec des planches de bois. Sindbad hisse haut la voile en tenant bon le mat à bout de bras, mais le bateau se disloque, à l'image terrible de ces frêles esquifs de migrants, perdus en mer. « ¿Que pasa? » demande un jeune spectateur inquiet. « Laissez venir le changement comme la marée montante », lui répond Sindbad sur le glas du piano, avant un chœur de Requiem a cappella conclu par une tierce picarde (l'intervalle majeur qui achève les musiques anciennes en mode mineur pour rappeler que la rédemption attend toujours).
Estelle Poscio (China), Mathieu Gardon (Largui) et Ziad Nehme (Rogelio) dans L'Ombre de Venceslao à Rennes (© Laurent Guizard)
Saluons donc ces jeunes interprètes impliqués et appliqués, c'est même là leur moindre défaut : ils exécutent les chants et gestes avec une méticulosité aux dépens du naturel. Gageons que les reprises de la production y remédieraient.
Le voyage se conclut sur une fin grandiloquente, la masse des chanteurs s'avançant vers le public sur une musique somptuaire et en déclamant « La volonté de Dieu est la loi de la vertu », avant de s'ouvrir, telle la mer Rouge au bâton de Moïse.
Les jeunes artistes reçoivent un accueil chaleureux, qu'ils rendent à leurs chefs de chœur.
Sindbad voyagera à l'Opéra du Rhin la saison prochaine.
Ce concert venait conclure le week-end Voyage 1.001 Nuits organisé par la Philharmonie et couvert par Ôlyrix, avec : Kalîla wa Dimna (chroniqué lors de son passage à Lille), Le Sérail pour tous : Mozart participatif à la Philharmonie, ainsi qu'Aladdin par Tugan Sokhiev et le Capitole.