Le Sérail pour tous : Mozart participatif à la Philharmonie
Le génie de Mozart est tel qu'il est naturellement "tout public". Son travail limpide sur les mélodies, les harmonies et l'orchestration apparaît une fois encore avec éloquence dans cette version efficace, aux plans sonore délicatement marqués. Perchée sur l'estrade, ses talons et son talent, Ariane Matiakh dirige l'Orchestre de chambre de Paris en Mante religieuse. Sa baguette prolonge encore un long bras effilé et elle tourne presque la tête à 180 degrés pour donner les départs aux chanteurs placés derrière elle.
Ariane Matiakh (© Marco Borggreve)
La Philharmonie de Paris a souhaité rendre Mozart encore davantage accessible (au risque de la vulgarisation), avec des passages chantés par le public. Y contribue également le travail de Gilles Rico, qui propose une adaptation française davantage intelligible du jeune public (parfois trop, les personnages de Mozart se promettant des "engueulades"), ainsi qu'une mise en espace fantasque. Les costumes extrêmes (Violaine Thel et Clémence Pernoud), bigarrés ou prosaïques, marient tenues orientales et pantalons pattes d'eph rapiécés. Cet assemblage de bric et de broc a tout de même l'intérêt de fasciner l'auditoire et de motiver les interprètes qui jouent avec beaucoup d'engagement, se déplaçant à travers le plateau et descendant de scène pour interagir avec le public dans les travées.
Reinoud Van Mechelen semble à ce point meurtri par le triste sort de son personnage Belmonte, qu'il paraît tout d'abord en retrait vocalement, jusqu'à la grande douceur de son air "Vous papillonnez, mon cœur", matinée d'une pointe nostalgique. Pour le public, c'est une évidence que d'applaudir les airs de Marlène Assayag qui chante sa bien-aimée lointaine Constance avec implication et agilité (malgré une teinte mate).
Reinoud van Mechelen (© Senne Van der Ven)
Sonore, impliqué et drôle, son jeu aussi rythmé que son chant, Loïc Felix vole la vedette dans son incarnation exultante de Pedrillo, qui parvient à récupérer sa promise Blondine et à rendre Constance à Belmonte, notamment en droguant le vin d'un puissant narcotique pour déjouer la vigilance du Gardien. Il secoue alors la bouteille telle une maracas ou le shaker d'un barman : réjouissant ! Certes, la voix ne tient pas au niveau de l'intensité du jeu et le chant se tend rapidement, mais la mise en scène vient fort heureusement demander l'aide du public pour reprendre en cœur après lui "En Pays Maure" (qui ne passe pas bien dans son talkie-walkie, dont l'immense antenne vient chatouiller les microphones de captation).
Judith Fa (© Mathieu Génon)
Assis à son bureau monté en kit, Osmin garde le harem turc. L'auguste voix de son interprète Frédéric Caton n'intimide pas le public participatif qui reprend avec lui ses fins de phrases en "Tralalera", emporté par l'enthousiasme communicatif de la chef de chœur Jeanne Dambreville. Le Gardien faussement menaçant et vraiment fantasque est même à mourir de rire lorsqu'il se débat en beau diable contre Belmonte et Pedrillo qui sortent des rouleaux de scotch pour l'attacher à sa chaise et pénétrer ainsi le Sérail. Il les poursuit même, le siège scotché au séant : un franc moment de rigolade, qui dégénère ensuite en bouffonnerie lorsque la Blondine Judith Fa vient le délivrer et repasser ses slips. Repoussant ses avances, elle le menace d'une voix assurée mais surtout d'un sécateur, faisant rimer sa "fureur dévastatrice" avec "fais gaffe à ton p'tit appendice" (sic) !
Frédéric Caton (© Jef Rabillon)
Complétant le tableau, le Pacha Selim (Sébastien Dutrieux dans ce rôle parlé) peut s’enorgueillir d'entendre tout son peuple de la Philharmonie chanter ses louanges avec des gestes somptuaires. Dans sa magnanimité, il libérera tout ce beau monde, sur un chœur final réjoui.
Ce concert était donc une belle raison de se lever un samedi matin pour participer au week-end Voyage 1.001 Nuits organisé par la Philharmonie : après Kalîla wa Dimna (chroniqué lors de son passage à Lille), avant Aladdin, puis Sindbad.