Ariodante divertit le TCE de l'absente DiDonato
Harry Bicket dirige son English Concert depuis le clavecin. Dès qu'il le peut, il ne joue que d'une main (la gauche pour la basse ou la mélodie ornée avec la droite), afin de lancer de grands accents ou des volutes avec l'autre main. L'Orchestre se maintient en précision, cohésion et justesse tout au long du drame et il va même s'assouplissant crescendo pour offrir un accompagnement attentif aux merveilleuses arias de cette partition. Au sommet de ces petits chefs-d'œuvre, figure Scherza infida (Divertis-toi, infidèle) qu'Alice Coote déploie, depuis les profonds graves laryngés jusqu'aux aigus menaçant (l'ensemble étant soutenu par le très doux et très long basson).
Alice Coote (© Benjamin Ealovega)
Jambes arquées et voix charpentées, Alice Coote campe d'emblée son personnage avec une chaleur bienvenue dans les graves. Les airs de béatitude champêtre évitent ainsi l'excès de candeur. La voix sait aussi rayonner dans l'aigu, entre deux inspirations bruyantes. Toutefois, la ligne est rompue par des ornements accompagnés de mille mouvements parasites : elle rebondit sur place, hausse les épaules, donne des coups de menton, secoue la tête, dodeline, mastique (au moins le fait-elle toujours avec un sourire béat). C'est là un péché d'enthousiasme, qui se constate même lorsqu'elle boit une bouteille d'eau : l'interprète reste dans le personnage, se désaltérant avec des mines accablées et tenant le mur.
Christiane Karg (© Gisela Schenker)
L'injustement accusée Ginevra est interprétée par Christiane Karg. La soprano projette sa voix vers des aigus très vibrés, grâce à sa posture de danseuse, les bras et le plexus très ouverts. Les mains en prière, c'est la tête très mobile qui accompagne les ornements vocaux. Mary Bevan interprète sa suivante Dalinda avec endurance et attention, à peine voilée dans le médium, bien davantage dans l'aigu. Elle assume ce personnage au cœur du drame. Manipulée par Polinesso qu'elle aime, elle entraîne la déchéance des personnages et notamment des amours entre Ariodante et sa maîtresse.
David Portillo, spécialiste du rôle, met son énergie débordante au service de Lurcanio (frère d'Ariodante), d'une voix assurée dans les graves mais victime d'un entre-deux pour les aigus : pas assez aérienne pour un ténor léger, trop pour un ténor lyrique. Toutefois, il fait merveille par la longueur de son souffle et l'incarnation de ses piani dans la fin de son air "Senza voi viver non sò".
David Portillo (© Kristen Hoebermann)
Si Alice Coote reprend en Ariodante un rôle masculin composé pour un castrat, elle n'est pas la seule "femme en pantalon". Les mains dans les poches, Sonia Prina a une voix sourde de menaces dans le rôle masculin de Polinesso. Sa virilité se résume à des postures et des secousses corporelles brutales (entrecoupant en outre une ligne vocale qui manque de souffle). Délaissant le chant au profit d'une incarnation bouffonne du personnage cynique et manipulateur, elle émet des borborygmes en guise d'acmé virtuose.
A la direction, Harry Bicket (© Richard Haughton)
Matthew Brook a toute la noblesse du Roi d'Écosse, par la voix et le maintien. Les cors, d'abord somptueux et somptuaires, sont pour beaucoup dans cette royale incarnation, noble et puissante (hélas, alors que le public se réjouit de voir les instrumentistes se relever après cette première entrée en matière prometteuse, leurs interventions suivantes déraillent, bouchées). Même à genoux, les jambes coupées par la tristesse en apprenant l'annonce (fausse) de la mort d'Ariodante, le roi conserve sa noblesse, par son organe vocal. Il est déchirant dans les adieux à sa fille qu'il a condamnée. Enfin, Bradley Smith se fait remarquer dans le petit rôle d'Odoardo penché sur son Roi, tant par sa belle voix éplorée que pour ses chaussettes rouge vif.
Matthew Brook (© Richard Shymansky)
Comme de coutume à la fin des tragédies, le rythme final s'emballe, le méchant meurt puni, la justice et l'amour triomphent en quelques mesures. Le final exulte dans un tutti célébrant la vertu récompensée et réjouissant un public enthousiaste.