Récital-performance de Garifullina et Brownlee au TCE
C’est avec l’ouverture de l’opera buffa en trois actes Don Pasquale (créé au Théâtre-Italien de Paris en 1843) de Donizetti que Speranza Scappucci ouvre ce récital, avec l’Orchestre de chambre de Paris. Dès les premières mesures, l’auditoire est plongé dans l’univers de la musique de scène. Portée par le lyrisme des interventions du violoncelle de Benoît Grenet, du cor de Nicolas Ramez et de la flûte de Marina Chamot-Leguay, la cheffe propose une ouverture pleine de charme et de malice.
Lawrence Brownlee et Aida Garifullina (© DR)
Accueilli avec un tonnerre d’applaudissements, Lawrence Brownlee apparaît sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées pour interpréter son premier air de la soirée : « Spirto Gentil » extrait du grand opéra La Favorite (Paris, 1840) de Donizetti. Dès les premières mesures, son aisance technique éblouit. Le public est conquis. S’il s’agit indéniablement d’une entrée en matière solide et efficace, Lawrence Brownlee pourrait toutefois s’inspirer des propos mélancoliques de son personnage pour interpréter avec plus de contraste et de finesse une des plus belles pages du bel canto italien.
Pour sa première intervention de la soirée, Aida Garifullina chante une mélodie composée en 1904 par Ruggero Leoncavallo (1857-1919) et intitulée « Mattinata » (Aubade). Comme son camarade de soirée, Aida Garifullina montre dès ses premières mesures une grande maîtrise technique. Accompagné par un balancement nonchalant de l’orchestre, son air détendu et chaleureux ferait presque oublier le défi vocal que constitue cette page de musique.
Les voix des deux solistes s’unissent ensuite pour la première fois de la soirée sur le duo de Nemorino et d’Adina « Caro elisir… Esulti pur la barbara » extrait du premier acte de l’opera comica L'Élixir d'amour (1832) de Donizetti. En bon acteur, Lawrence Brownlee joue la carte de la simplicité et de la sincérité en interprétant un Nemorino coquin avec Adina, mais aussi avec le public. N’ayant pas peur du ridicule, il se présente sur scène avec une bouteille d’eau à la main en guise d’accessoire, provoquant pendant quelques instants l’hilarité générale. Si l’exécution de ce duo semble être un jeu d’enfant pour les deux solistes, la faible part des contrastes musicaux et vocaux (comme lors de leurs premières interventions individuelles) peut aussi laisser des regrets.
Aida Garifullina se lance ensuite dans l’exécution de l’air de Sniégourotchka extrait du Prologue du Conte de printemps (La Fille de neige qu'elle interprétait encore très récemment à Bastille) du compositeur russe Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908). Forte de son timbre clair et de son vibrato nuancé, Aida Garifullina captive l’auditoire en interprétant avec une technique parfaite mais sans émotion l’agitation enfantine emplie de candeur de cette fille du Printemps et du Gel.
Aida Garifullina dans La Fille de neige (© Elisa Haberer / Opéra national de Paris)
La première partie se termine sur l’interprétation de l’air d’Ilo, intitulé « Terra amica » et extrait du Dramma de Rossini (1792-1868) Zelmira. En grand spécialiste de ce compositeur, Lawrence Brownlee livre au public une version triomphale de cet air pour voix de ténor redoutablement virtuose. Pour surmonter ce véritable marathon de vocalises, Lawrence Brownlee met toutes les parties de son corps au service de sa performance. Le résultat est impressionnant, d'autant plus qu'il le fait avec panache ! De plus, contrairement à ses précédentes interventions, il ne mise pas uniquement sur la performance et aménage des instants plus intimistes (comme sa première attaque piano spectaculaire dans l’aigu) pour livrer aux spectateurs une version pleine d’émotion. Dans son dialogue imitatif avec la clarinette, il fait entendre également sa finesse d’écoute et son intelligence musicale. Moment clef de cette soirée, l'interprétation de Lawrence Brownlee suscite un immense enthousiasme dans l'auditoire.
Après une pause bien méritée, le ténor se met dans la peau du pêcheur Nadir pour chanter sa célèbre romance « Je crois entendre encore » extrait du premier acte de l’opéra Les Pêcheurs de perles (1863) du compositeur français Bizet. Malgré un très beau piano au début de l’air, Lawrence Brownlee livre une version sans relief de cette rêverie de Nadir. Son vibrato trop serré et trop présent empêche le déploiement naturel de cette magnifique mélodie. Peut-être était-il encore trop dans l’esprit fier et conquérant d’Ilo.
Lawrence Brownlee dans le Barbier de Séville (© Julien Benhamou)
Continuant sur cette lancée des compositeurs français, Aida Garifullina chante l’air de Juliette « Je veux vivre » extrait de l’opéra Roméo et Juliette (1867) de Charles Gounod (1818-1893). Là encore, l’absence de contraste, de nuances et de variété dans les attaques ôte à son exécution de la spontanéité et du naturel.
Pour quelques instants, c’est Speranza Scappucci qui reprend la direction de ce concert en interprétant avec l’Orchestre de chambre de Paris l’ouverture de l’opéra-comique de Donizetti La Fille du Régiment (créé à Paris en 1840) : les pupitres de vents (notamment le cor solo) ravissent une nouvelle fois les auditeurs.
Issu de ce même opéra, l’air de Tonio (« Ah ! mes amis … Pour mon âme ») est ensuite interprété par Lawrence Brownlee. Taquin, ce dernier tourne en dérision les codes de l’exercice du récital en feignant d’être en difficulté (il s’agrippe comiquement à la barre derrière la cheffe). Continuant sur sa lancée, il commence sans hésitation le duo du premier acte entre Nemorino et Adina (« Una parola, o Adina… Chiedi all’aura… Per guarir da tal pazzia ! »). Jouant le désespoir, il essaie de convaincre Adina de l’aimer. Mais cette dernière ne veut rien entendre et le repousse avec condescendance.
L’Élixir d'Amour de Donizetti dans la mise en scène de Laurent Pelly (© Vincent Pontet)
Galvanisés par les applaudissements, Aida Garifullina et Lawrence Brownlee interprètent en premier bis le duo d’amour d’Alfredo et de Violetta extrait du troisième acte de l’opéra romantique La Traviata (1853) de Verdi. Dès les premières paroles du ténor (« Parigi, o cara »), le public est saisi par le désespoir des amants. Alfredo ne veut pas croire Violetta au seuil de la mort. Dans une dernière tentative pour conjurer le sort, il lui assure qu’elle ira mieux. Elle se sait condamnée, mais comme pour consoler Alfredo dans son malheur imminent, elle répète avec une simplicité touchante les paroles de son amant. Puis, les deux voix s’unissent pour appeler de leur vœu un avenir en commun qu’ils n’auront jamais. L’émotion suscitée par ce duo est telle qu’un bref silence précède les applaudissements.
Les deux solistes reprennent ensuite chacun l'un de leurs airs (celui de Tonio pour Lawrence Brownlee et « Mattinata » de Leoncavallo pour Aida Garifullina), pour le plus grand plaisir de l’auditoire !