La belle distribution d’Anna Bolena en Avignon
Marie-Louise Bischofberger insiste dans sa mise en scène d’Anna Bolena pour l’Opéra Grand Avignon, sur la relation entre la reine déchue et sa dame de compagnie, Giovanna Seymour, amie que le roi Henry VIII place dans la position de rivale. La metteur en scène imagine même une « union » entre ces deux femmes symbolisée par un baiser échangé lorsque la seconde implore le pardon de la première. Baiser d’amitié, baiser de pardon ou baiser de la mort à celle qu’elle voue quelques instants plus tôt à un destin cruel. La fille d’Anna et Henry, future Reine Elisabeth (qui est au cœur de deux autres opéras de Donizetti : Maria Stuarda et Roberto Devereux), paraît régulièrement, victime collatérale du conflit de ses parents avec lesquels elle joue aux moments les plus fatals. Le décor, signé Erich Wonder est simple tout en étant esthétique. Des visuels impressionnistes habillent le fond de scène tandis qu’un trône, qui se transforme à la fin en escalier vers l’échafaud, ou le lit royal dans lequel Giovanna remplace Anna, sont les seuls éléments de mobilier occupant le plateau. Les costumes d’époque de Kaspar Glarner sont magnifiques et richement ornés.
Anna Bolena par Marie-Louise Bischofberger (© Cédric Delestrade / ACM-Studio)
Cette production est l’occasion d’une prise de rôle pour la soprano Irina Lungu, qui irrigue son personnage d’une candeur et d’une dignité tout à fait adaptées au rôle. Son phrasé est incisif et son fameux air « Ah ! segnata è la mia sorte » est frissonnant, alliant la puissance et la fougue de la rébellion pour s’achever sur un aigu époustouflant. Le soyeux des médiums et le tranchant des aigus s’expriment avec nuance mais profondeur, enrichis d’un vibrato bien ancré. Son personnage meurt enseveli sous un long drap noir après avoir offert au public une scène de folie mémorable, ponctuée d’un aigu conclusif tenu dans un long filet de voix.
Irina Lungu dans Anna Bolena (© Cédric Delestrade / ACM-Studio)
Kate Royal ayant été souffrante au moment des répétitions, le rôle de Giovanna Seymour est interprété par Ketevan Kemoklidze, qui n’en est pas moins l’une des réelles satisfactions de la soirée. La cantatrice fait évoluer son personnage d’une insouciance souriante, laissant triompher l’ambition sur de légers remords au début de l’opéra, vers une bouleversante repentance lorsque sa royale amie est condamnée à mort pour lui libérer la place sur le trône. Longue en souffle, elle dispose d’une voix riche aux graves sombres et au vibrato tendu. Ahlima Mhamdi est radieuse dans les premières scènes de l’ouvrage, travestie en Smeton. Bien sûr, l’intrigue l’emporte ensuite vers une interprétation plus grave et déchirée. Si les graves sont émis avec difficulté, les médiums sont resplendissants et sa voix s’exprime généreusement dans l’aigu.
Irina Lungu et Ketevan Kemoklidze dans Anna Bolena (© Cédric Delestrade / ACM-Studio)
Ismaël Jordi interprète Percy, l’ancien amant de Bolena, que le roi fait revenir d’exil afin de piéger sa femme. Son timbre clair et chaud, empreint de mélancolie, s’élève vers des aigus brillants et denses. Si son italien ne brille pas par la fluidité, son chant est puissant et séduisant, bien que manquant de folie. Carlo Colombara dispose d’une voix idéale pour le rôle d’Henry VIII : ses graves résonnent immensément dans des basses profondes. Mais rapidement, le chanteur se racle bruyamment la gorge entre ses interventions. Dès lors, les aigus se tendent et les médiums dérapent. Se concentrant sur sa voix, il laisse alors échapper le rythme et produit des legato maladroits. En effet, une annonce est faite à l’entracte pour indiquer l’indisposition du chanteur, qui finit tout de même l’opéra et récolte de chauds applaudissements lors des saluts. Patrick Bolleire et Jérémy Duffau incarnent respectivement le noble Rochefort, doté de graves vibrants, et le sombre Hervey au timbre pourtant harmonieux.
Le chef Samuel Jean est à la tête de l’Orchestre régional Avignon-Provence, parvenant à insuffler les différentes couleurs de la partition, depuis les passages enflammés jusqu’à des ambiances bien plus sombres. Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon expose la richesse de ses timbres et la puissance dramatique de ses interventions, mais laisse échapper quelques décalages rythmiques. Après la belle Marie Stuart de l’an dernier, l’Opéra Grand Avignon présente ainsi un second opus de la trilogie des reines de Donizetti tout à fait réussi. En attendant Devereux la saison prochaine ?