Les Tessitures à l'Opéra (6/6) quand une légende donne son nom à une voix
Première partie : les tessitures féminines, la terminologie italienne
Deuxième partie : les tessitures masculines, la terminologie italienne
Troisième partie : les tessitures féminines, la terminologie allemande
Quatrième partie : les tessitures masculines, la terminologie allemande
Cinquième partie : les tessitures selon la terminologie baroque française
Sixième partie : les tessitures par antonomase
Les voix nommées par antonomase (un nom propre devient un nom commun, ici un célèbre chanteur ou une célèbre chanteuse devient une typologie de voix). Le premier de nos exemples est la "Falcon", une voix de soprano dramatique en hommage à Cornélie Falcon (1812-1897), la créatrice des rôles de Rachel dans La Juive de Jacques-Fromental Halévy ou encore Valentine dans Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer. Sa carrière ne dura que six ans, de 1834 jusqu'à 1840 lorsqu'elle perdit sa voix, mais elle est inscrite dans la légende.
La Falcon de notre temps est sans doute la soprano américaine Jessye Norman, dont nous présentons la lamentation de Didon pour Didon et Enée de Purcell. Par ailleurs, sa voix puissante et dramatique convient aussi aux héroïnes wagnériennes, qu'elle illustre dans l'autre extrait ("La mort d'Isolde").
Cet air qui clôture l'opéra Tristan et Isolde est une véritable apothéose. Isolde qui souhaite mourir avec son bien aimé Tristan (qui a déjà trépassé après le combat avec Melot), afin qu'ils soient réunis dans l'autre-monde. Les deux personnages, d'abord ennemis (Isolde est la captive de Tristan qui l'amène au roi Marke) ils deviennent amants après avoir ingurgité le philtre d'amour.
Dans le troisième acte de Didon et Enée, Enée prépare avec ses marins les navires pour le départ, suivant le conseil de Mercure. Les créatures maléfiques de la Magicienne envahissent les bateaux afin d'assaillir Enée en pleine mer (« See the flags and streamers curling »). Pendant ce temps, Enée vient dire adieu à Didon. Celle-ci lui reproche amèrement sa trahison. Enée décide alors de braver les ordres de Jupiter et de rester. Mais, offensée qu'il ait songé à la quitter, Didon le chasse. Un chœur de courtisans regrette que les grands esprits refusent les remèdes qu'ils chérissent pourtant. Demandant à Belinda de se souvenir d'elle mais pas de ses fautes, Didon se donne alors la mort (« When I am laid in earth »).
Une fameuse antonomase vocale (un nom propre tellement célèbre qu'il devient un nom commun) est celle de "Dugazon". Cette voix correspond à la mezzo-soprano légère (appelée encore mezzo colorature) claire et virtuose, apte à parcourir les vocalises et passages mélismatiques avec facilité. Son nom vient d'une fameuse chanteuse de l'Opéra Comique, Louise-Rosalie Lefebvre Dugazon (1755-1821) et le répertoire qui lui correspond est principalement mozartien, en particulier les rôles de soubrettes. Il existe une division entre "jeune dugazon" qui correspond aux personnages vocalement juvéniles et "la mère dugazon", voix plus maturée.
En voici un bel exemple, l'air du Chérbin des Noces de Figaro ("Vous qui savez" - "Voi, che sapete") interprété par la virtuose Cecilia Bartoli, ici accompagnée au piano par Jean-Yves Thibaudet.
Le personnage travesti de Chérubin (interprété par une mezzo-soprano) représente l'archétype du jeune homme qui découvre tous les stades émotionnels de l'amour. Ses sentiments se tournent tout à la fois vers la Comtesse, vers Suzanne ou encore vers Barbarine. C'est un personnage tendre et juvénile, souvent effrayé par les fureurs du Comte. Cet air est une romance que Chérubin chante à Suzanne en lui faisant ses adieux :
Et voici une jeune dugazon française de nos jours, Chloé Briot. Elle interprète un autre air de Chérubin ("Non so più cosa son, cosa faccio" - "Je ne sais plus qui suis-je, que fais-je"), lorsqu'il exprime ses sentiments pour la Comtesse, et plus généralement pour la gent féminine.
Une autre mezzo antonomase est "Galli-marié" (mezzo-soprano dramatique), nommée d'après Célestine Galli-Marié (1840-1905) qui fut la créatrice du rôle de Carmen de Bizet. Elle est également à l'origine de la légendaire Habanéra dans cet opéra, l'air qui fut introduit après qu'elle ait insisté et fait réécrire de nombreuses fois sa partie au compositeur.
Une galli-marié qui marqua la deuxième moitié du XXe siècle est la mezzo allemande Christa Ludwig que nous présentons avec deux extraits : le Lied "Morgen" de Richard Strauss et l'extrait de l'opéra Fidélio de Beethoven où elle endosse le rôle-titre.
"Morgen" ("Demain") est composé en 1894 par le jeune Richard Strauss, d'après un poème d'amour de John Henry Mackay. Dans la postérité, "Morgen" devint l'une des œuvres les plus souvent interprétées et enregistrées de Strauss, avec également une multitude de versions instrumentales.
Dans Fidelio de Beethoven, Don Pizzaro décide de tuer au plus vite son ennemi Florestan, qu’il détient arbitrairement. Il ordonne qu’on le prévienne si la voiture du Ministre s’approchait de la prison, puis tente de soudoyer Rocco pour qu’il tue Florestan. Ce dernier s’y refusant, il se résout à se charger lui-même de l’exécution, mais demande à son geôlier de creuser une tombe. Fidelio, qui a entendu la fin de la conversation, s’inquiète : il n’est autre que Leonore, la femme déguisée du prisonnier Florestan (« Abscheulicher ! Wo eilst du hin ? »).
"Trial" est un ténor à la voix légère et nasale qui chante les personnages bouffes, valets, paysans... Son nom vient du ténor Antoine Trial (1737-1795) qui fit sa carrière principalement à la Comédie Italienne et à l'Opéra Comique. C'est un ténor dont l'ambitus n'est pas très large, ses emplois scéniques étant plutôt théâtraux que vocaux.
Le rôle phare de ce type de voix est Don Basilio des Noces de Figaro, dont voici l'air "In quegli anni in cui val poco" dans l'interprétation de Luigi Alva. Au quatrième acte, Bartolo et Don Basilio viennent à l'aide de Figaro dans sa conquête amoureuse de Suzanne.
Le Baryton Martin est un baryton léger, avec une étendue développée de son registre aigu et un timbre lyrique qui le rapproche du ténor. Cette appellation provient du baryton Jean-Blaise Martin (1768-1837), chanteur devenu célèbre pour ses rôles à l'Opéra Comique (les opéras de Boieldieu, Isouard, Méhul, Dalayrac et Halévy entre autres). Un des rôles phares de ce répertoire est Pelléas dans Pelléas et Mélisande de Debussy ou Orphée de l'opéra homonyme de Monteverdi, Enée de Purcell ou encore les œuvres de Ravel et Poulenc.
Jacques Jansen est un baryton Martin dont voici deux extraits.
D'abord le fameux air de Figaro dans Le Barbier de Séville de Rossini, où il se vante de ses multiples talents qui en font un personnage incontournable à Séville (« Largo al factorum »). Le large ambitus de ce rôle révèle les multiples facettes de cet homme qui attire la sympathie, s'adapte aux changements de situation, tout en faisant preuve de ruse lorsqu'il s'agit de déjouer les plans de Bartolo : Figaro est le véritable moteur de l'action du Barbier de Séville.
"L'heure exquise" est la cinquième chanson du cycle de sept mélodies Les Chansons grises de Reynaldo Hahn. Elle est sans doute la plus célèbre, comme en témoignent ses nombreux adaptations, arrangements, tirages et enregistrements. Par ailleurs, elle se distingue par la délicatesse de l'accompagnement de piano et son caractère tendre. L'audition de ce cycle de mélodies dans le salon de Mme Madelaine Lemaire fut l'occasion pour Reynaldo Hahn de rencontrer Marcel Proust, ce qui engendrera par la suite une grande amitié -et davantage- entre les deux hommes.
Nivette représente la voix de basse profonde et son nom vient de la basse française Juste Nivette (1865-19..). Il entra à l'Opéra de Paris vers l'année 1900, sa carrière étant marquée par des rôles dramatiques dans les opéras de Meyerbeer (Les Huguenots, Le Pardon de Ploërmel), d'Halévy (La Juive), Gounod (Faust) entre autres : parmi son répertoire figurent aussi Sarastro dans La Flûte enchantée, Fafner et Hagen dans L'Anneau du Nibelung de Richard Wagner.
Au début du XXe siècle, Juste Nivette a laissé une trace de son art avec plusieurs enregistrements. Voici l'air de La Juive d'Halévy "Si la rigueur et la vengeance" et l'air du Chasseur du Pardon de Ploërmel de Meyerbeer. C'est un air du cardinal Jean-François de Brogni qui ouvre la deuxième scène du premier acte de La Juive. Le cardinal décide à pardonner au et lui rend la liberté, malgré son animosité vis-à-vis de la chrétienté qu'il accuse d'avoir tué sa famille.
Cet air du chasseur "Le jour se lève" ouvre le troisième acte où il admire la beauté du paysage à la campagne. Il s'agit d'un petit rôle qui n'apparaît sur scène qu'en ce moment précis :