Les Tessitures à l'Opéra (5/6) la classification baroque
Première partie : les tessitures féminines, la terminologie italienne
Deuxième partie : les tessitures masculines, la terminologie italienne
Troisième partie : les tessitures féminines, la terminologie allemande
Quatrième partie : les tessitures masculines, la terminologie allemande
Cinquième partie : les tessitures selon la terminologie baroque française
Sixième partie : les tessitures par antonomase
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la classification des voix se faisait selon leur position dans le contrepoint. La voix de soprano se nomma ainsi "dessus", comme la plus aiguë (haute sur les partitions) dans le système musical.
Voici "L'Air de dessus" du Benedictus Dominus d'André Campra, interprété par la soprano française Véronique Gens (chanteuse à l'affiche de nombreux spectacles sur notre espace billetterie) :
Sabine Devieilhe est une autre "dessus" française, qui établit sa carrière dans la musique baroque. Voici un extrait des Indes Galantes de Rameau ("Forêts paisibles"), entonné avec Florian Sempey et des membres de l'Académie de l'Opéra de Paris.
Ce dialogue est le rondeau de la sixième scène de la quatrième entrée de l'œuvre. Adario, chef de guerre indien des forêts américaines, vient d'être défait par les armées franco-espagnoles, qui offrent la paix. Sa préoccupation vient cependant de la cour que prodiguent les chefs victorieux, le français Damon et l'espagnol Don Alvar, à Zima, la femme qu'il aime. Il se cache alors pour observer ses deux rivaux, dont le premier, Damon, fait l'éloge de l'amour volage, quand le second, Alvar, met en avant sa constance (« Nous suivons sur nos bord l'innocente nature »). Zima déclare ne vouloir ni d'un amant volage, ni de la tyrannie d'un mari jaloux. C'est ainsi qu'elle choisit de se donner à Adario.
La voix de "bas-dessus" correspond à celle de mezzo-soprano. Elle se trouve juste en dessous du "dessus" dans la polyphonie choral. Bien que la voix de dessus s'accapare la majorité des héroïnes et premiers rôles féminins dans les opéras baroques, il existe des parties phares écrits pour cette voix de bas-dessus. Voici Stéphanie d'Oustrac qui interprète deux airs du Thésée de Jean-Baptiste Lully.
La voix de "haute-contre" est caractérisée par une tessiture haute (aiguë et soulevée) et un timbre lyrique, pour laquelle ont été écrits une infinité de rôles-titres à l'opéra baroque. Elle est souvent comparée à celle de contre-ténor, voix masculine équivalente de l'alto principalement, mais le chanteur haute contre est un ténor (voix masculine) certes aigu et allégé alors que le contre-ténor chante en voix de fausset (plus lié à la technique vocale "féminine"). "Haute-contre" est positionné en dessous du bas-dessus et il est au-dessus de la voix de "taille". Voici la "haute-contre" belge Reinoud van Mechelen, interprétant un air de Marc-Antoine Charpentier.
La voix de "taille" (ténor) fut souvent considérée comme la plus naturelle qui soit, celle qui se rapproche de la voix humaine. Un des rôles importants est par exemple Thésée dans l'opéra homonyme de Lully. Une fameuse "taille" montante de notre époque est sans doute Emiliano Gonzalez-Toro, artiste suisse d'origine chilienne. Voici le monologue d'Irus du Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi qu'il interprète avec l'accompagnement de l'ensemble baroque Le Concert d'Astrée.
La "basse-taille" signifie le "bas ténor", la voix entre la basse et le ténor, ce qui correspond environ au baryton selon la terminologie vocale actuelle. C'est appellation disparaît complètement de l'usage à la fin du XIXe siècle.
Voici deux extraits avec deux basses-tailles françaises d'aujourd'hui, Alain Buet et puis Marc Mauillon.
Marc Mauillon ici interprète une mélodie de Michel Lambert (ca 1610-1696), "Goutons un doux repos". C'est un "air sérieux" publié en 1691 dans un recueil des airs de différents compositeurs français.
La voix de basse fut considérablement moins employée à l'époque baroque que celle de la taille ou la basse-taille, souvent dédiée aux rôles secondaires. Cela étant, dans l'opéra baroque italien, la basse est principalement porteuse des rôles bouffes ou bien représente des personnages dramatiquement importants, comme les dieux et les sages. A l'opéra français, les chanteurs à la voix grave incarnent toutefois des figures plus sérieuses et avec Jean-Philippe Rameau, la division entre la basse-taille et la basse diminue en suivant l'élargissement de l'ambitus des personnages chantant dans ce registre.
Voici un exemple d'usage dramatique d'une basse, en l'occurrence pour le personnage diabolique de Lucifer dans l'oratorio La Résurrection de Haendel, par l'interprète argentin Lisandro Abadie.