Les Tessitures à l'Opéra (3/6) voix masculines dans la terminologie allemande
Première partie : les tessitures féminines, la terminologie italienne
Deuxième partie : les tessitures masculines, la terminologie italienne
Troisième partie : les tessitures féminines, la terminologie allemande
Quatrième partie : les tessitures masculines, la terminologie allemande
Cinquième partie : les tessitures selon la terminologie baroque française
Sixième partie : les tessitures par antonomase
Spieltenor : Nicolai Gedda
Il s'agit d'un ténor lyrique bouffe, à l'emploi théâtral. Il est proche du ténor lyrique par sa voix légère et expressive, les personnages qu'il joue étant principalement comiques.
Le ténor suédois Nicolai Gedda incarne ici Pedrillo dans L'Enlèvement au Sérail de Mozart avec l'air "Im Mohrenland gefangen war" (le dialogue avec Belmonte de la scène 2 dans l'acte III). Le valet de Belmonte, Pedrillo est capturé avec Konstanze et Blonde, et parvient à se faire engager comme gardien des jardins du pacha, afin de gagner une liberté de mouvement, et de pouvoir introduire son maître lorsque celui-ci viendra les libérer (ce dont il ne doute pas). À minuit, Pedrillo vient donner le signal du départ en chantant une sérénade ("Im Mohrenland gefangen war"), puis Belmonte le rejoint pour enlever Constance et Blonde. Comme pour Blonde, le traitement vocal dénote de son appartenance à l’univers populaire.
Charaktertenor : Franz Grundheber
Le ténor de caractère est un Zwischenfach (voix entre deux types limitrophes) à la voix puissante et au ton métallique. Il est indispensable qu'il possède de très bonnes qualités scéniques, outre son ambitus plus large que le ténor bouffe.
Franz Grundheber interprète le rôle de Monostatos de La Flûte enchantée, l'air de l'acte II "Alles fühlt der Liebe Freuden". Les trois dames d’honneur de la Reine de la Nuit cherchent à convaincre les Tamino et Papageno de les suivre. Tamino tient fermement sa promesse de silence mais Papageno ne peut s’empêcher de parler. Lorsque les prêtres reviennent, ils emmènent un Tamino victorieux et réprimandent la faiblesse de Papageno. Pendant ce temps, Monostatos rode autour de Pamina qui est endormie, se désespérant de ce que son physique disgracieux de Maure l’empêche d’être aimé. Alors qu’il s’apprête à embrasser Pamina, la Reine de la nuit apparaît, faisant fuir Monostatos ("Alles fühlt der Liebe Freuden").
Lyrischer Tenor : Alfredo Kraus ("Amour sacré de la patrie")
Le ténor lyrique est une voix agile, au timbre velouté et chaud (mais pas lourd), avec une large portée des notes dans son diapason. Ses rôles de prédilection sont Le Duc dans Rigoletto, David dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, Alfredo en La Traviata et bien d'autres.
Le ténor espagnol Alfredo Kraus interprète avec Jean-Philippe Lafont le duo de La Muette de Portici (duo de Masaniello et Pietro), le chant populaire et révolutionnaire "Amour sacré de la patrie". Cet air a même déclenché les émeutes à Bruxelles le 25 août 1830 (suite à une seule représentation de l'opéra à La Monnaie) qui ont mené à la Révolution belge et par conséquent, à la création du Royaume de Belgique.
Jugendlicher Heldentenor : Jonas Kaufmann
Toutes les catégories des voix "héroïques" conviennent habituellement aux héros d'opéras de Wagner. Le jeune ténor héroïque est une voix à grande puissance et dramatisme, avec un registre aigu développé.
Jonas Kaufmann est le plus célèbre ténor de ce type aujourd'hui. Ici, il incarne Siegmund dans La Walkyrie aux côtés d'Eva-Maria Westbroek en Sieglinde dans la partie finale du premier acte : il tire l'épée Nothung de l'arbre de frêne et dévoile son identité à Siegliende. Il est son frère et veut devenir son époux, pour que la lignée des Wälsung se perpétue à travers leur amour.
Heldentenor : Manfred Jung
Le "vrai" ténor héroïque est rare et peu de chanteurs s'affrontent aux rôles de cette catégorie. Son timbre est pleinement dramatique et aussi barytonnant, aux couleurs sombres et au très grand potentiel sonore, capable de surpasser les sommets dynamiques des grands orchestres qui l'accompagnent.
Un rôle emblématique est certainement Siegfried de l'opéra homonyme, avec en l'occurrence Manfred Jung dans le rôle-titre. Dans une grotte proche du Rhin, le Nibelung Mime, frère d’Alberich, essaie en vain d’assembler les morceaux de l’épée de Siegmund, Nothung, que le maître des dieux, Wotan, a brisé vingt ans auparavant. En effet, Mime a recueilli un jeune homme, Siegfried, dont la force permettrait de terrasser le géant Fafner, transformé en dragon grâce au heaume jadis forgé par Mime, et qui garde le trésor des Nibelungen (dont l’anneau magique volé à Alberich). Tandis que Siegfried forge l’épée de son père (à la fin du premier acte), Mime résout d’attendre que Fafner soit tué pour empoisonner Siegfried : il sauvera ainsi sa vie et s’appropriera le trésor du Niebelung ("Des Vaters Stahl fügt sich wohl mir").
Lyrischer Bariton / Spielbariton : Florian Sempey
Le baryton lyrique au timbre doux, avec le registre aigu légèrement élargi est aussi appelé colorature pour ses passages virtuoses dans les sommets de la tessiture, qu'exigent les rôles des opéras italiens du XVIIIe siècle ou de la première moitié du XIXe.
Florian Sempey est un baryton qui s'est fait connaître dans ce répertoire et se présente ici avec l'air du Docteur Malatesta de Don Pasquale de Donizetti : "Bella Siccome Un Angelo". Don Pasquale, un célibataire septuagénaire, trépigne d'impatience dans sa demeure romaine, devant le retard de son convive. Arrive alors enfin le docteur Malatesta, qui lui annonce, par ruse, il lui a trouvé une épouse, une femme douée de toutes les qualités qui se trouve être sa propre sœur. Don Pasquale exulte et le presse de la lui présenter ("È mia sorella"), certain que l'amour lui fera retrouver la jeunesse et imaginant ses enfants courir autour de lui ("Ah! Un foco insolito").
Kavalierbariton : Dmitri Hvorostovsky
Le baryton chevalier est une voix polyvalente qui entonne des mélodies aussi lyriques que dramatiques, dont le timbre est souvent décrit comme "noble". Nombre des personnages de ce répertoire demandent une imposante présence physique sur scène (Don Giovanni, Escamillo, Giorgio Germont, Onéguine).
Le baryton russe Dmitri Hvorostovsky, récemment disparu, tint notamment le toréador Escamillo et le voici interprétant son fameux toast, à l'acte II de Carmen.
Charakterbariton : Bryn Terfel
Le baryton de caractère est une voix-type, propre aux répertoires verdien et puccinien, avec une tessiture élevée (fort registre aigu). Il chante donc des personnages très dramatiques dans l'écriture vocale et théâtrale, arbore un timbre sombre dans les graves et dispose de la force sonore nécessaire pour ce type d'emploi musical.
L'instrument de Bryn Terfel correspond à ce genre vocal. Le voici dans le rôle de Scarpia entonnant son "Te Deum" de la fin du premier acte de Tosca lorsqu'il joint les fidèles à la prière, mais pour jurer de posséder Tosca et se réjouir d'exploiter ainsi la jalousie de celle-ci vis-à-vis de son bien-aimé Mario Cavaradossi.
Heldenbariton : Luca Salsi
Le baryton héroïque trouve son emploi dans les rôles dramatiques qui nécessitent une grande endurance et puissance vocale, ainsi qu'une couleur sombre et mature qui s'épanouit dans les passages graves (bien que son étendue générale soit assez large). Le plus fréquemment, cette voix incarne les figures des méchants.
L'artiste italien, Luca Salsi se produit comme Gérard dans Andrea Chénier, aux côtés de Jonas Kaufmann et Anja Harteros à l'Opéra d'Etat bavarois à Munich. Cet air du troisième acte représente le questionnement de Gérard sur les principes de la Révolution, la révision du sens de ses propres actions dont l'ambiguïté le tourmente.
Hoher Bass (baryton-basse dramatique) : René Pape
La haute basse, ou encore la basse-baryton dramatique, représente une voix entre la basse et baryton (d'où l'adjectif "haute", introduit par Richard Wagner) dont le registre aigu est amplement élargi. Or, ce type reste principalement celui de la basse, avec la tessiture appartenant au diapason grave. Les rôles clés de son répertoire sont Boris Godounov, le Prince Igor, Klingsor en Parsifal ou bien Wotan dans L'Anneau du Nibelung.
Depuis que Fédor Chaliapine, un des plus célèbres interprètes de Boris, s'est déclaré en tant que "basse-baryton" (et non pas "basse" comme il était d'usage vers la fin du XIXe siècle), ce terme est progressivement rentré dans la pratique et offre une sous-division supplémentaire dans la typologie des voix lyriques. L'allemand René Pape fait aujourd'hui figure comme l'un des meilleurs basse-barytons et parmi les plus notables interprètes du personnage de Boris (défi particulièrement exigeant pour un chanteur non-russophone). Voici un extrait du second acte : dans les appartements de Boris Godounov, sa fille Xenia pleure la mort de son fiancé, le Prince Ivan. Sa Nounou, puis son frère Feodor, tentent de la réconforter en lui chantant des comptines. Boris parait, regrettant la tristesse de sa fille et admirant le sérieux de son fils qui étudie la géographie du royaume. Mais seul, il laisse éclater l’angoisse qui le poursuit depuis son crime, et que les bruits des complots se tramant en Lituanie amplifient.
Jugendlicher Bass : Ferruccio Furlanetto
La basse à la voix juvénile se réfère de manière générale aux personnages jeunes, quel que soit l'âge de chanteur. Ferruccio Furlanetto chante Masetto dans Don Giovanni : deux paysans, Zerlina et Masetto, fêtent leurs fiançailles avec leurs proches. Don Giovanni les interrompt et leur propose de continuer la fête dans sa demeure. Les jeunes gens acceptent. Mais Don Giovanni retient Zerlina, demandant à Mazetto de suivre la troupe. Se sentant trahi par son amante qui le pousse également à partir, le jeune fiancé quitte les lieux furibond ("Ho capito, signor, sì!").
Spielbass : Ambrogio Maestri
La basse bouffe désigne une voix grave mais au timbre lyrique, très souple et habile à chanter les vocalises. Ces caractéristiques sont mises au maximum au service de l'effet comique que ce personnage type doit produire.
Un des meilleurs acteurs à l'opéra, Ambrogio Maestri s'est rendu célèbre par les interprétations des rôles comiques, dont le Docteur Dulcamara dans L'Élixir d'amour de Donizetti. Voici le moment d'apparition de Dulcamara (au premier acte), vendeur ambulant de produits miracles pour gagner la santé, la fortune et le bonheur (« Udite, Udite, O Rustici »). Ses promesses intriguent Nemorino, qui lui demande le filtre de Tristan, et lui donne tout l'argent en sa possession en échange de la fiole magique, qui est en fait une simple bouteille de vin de Bordeaux. Nemorino ne pourra en percevoir l'effet que dans un jour, laissant ainsi le temps au Docteur de quitter le village.
Schwerer Spielbass : Ildar Abdrazakov
La basse bouffe dramatique est une voix aux aigus bien solides, manifestant son autorité dans le registre pivot et grave. Elle est expressive et très mobile, ses personnages phares sont le Baron Ochs dans Le Chevalier à la rose, Méphistophélès dans Faust de Gounod ou Ferrando dans Le Trouvère.
Ildar Abdrazakov campe ici Varlaam, le moine ivrogne du Boris Godounov de Moussorgski et entonne le "chant de Kazan" (ville tatare à l'Ouest de la Russie) du deuxième acte à l'auberge. Varlaam réclame du vin et chante sur les exploits guerriers d’Ivan le Terrible.
Lyrischer seriöser Bass : Franz-Josef Selig
La basse lyrique sérieuse se rattache à la basse profonde (la voix la plus grave) mais qui, au-delà de désigner la tessiture basse, caractérise aussi le chant lent et les figures historiques ou mythologiques majestueuses, nobles, autoritaires (les dieux et rois, par exemple).
Voici Franz-Josef Selig qui chante l'air de Sarastro ("O Isis und Osiris"), situé au deuxième acte. Les Grands Prêtres sont réunis autour de Sarastro. Celui-ci annonce qu’Isis et Osiris ont décidé d’unir Tamino et Pamina. C’est eux, accompagnés de Papageno, qui pourront arrêter la Reine de la Nuit, qui rêve de détruire leur temple. Mais ils doivent d’abord traverser des épreuves difficiles. Sarastro prie alors les Dieux pour qu’ils protègent les trois jeunes gens, ou qu’ils les accueillent s’ils périssent dans les épreuves ("O Isis und Osiris, schenket Der Weisheit Geist").
Dramatischer seriöser Bass : Kurt Moll
La basse sérieuse dramatique appartient au même genre vocal que celle ci-dessus, mais à la couleur plus sombre et dramatique. Elle est particulièrement dominante et imposante son assise sonore.
La basse allemande Kurt Moll représente ce type vocale et chante ici l'air fatidique du Commandeur vers la fin de l'acte II. Alors que Don Giovanni et Leporello cherchent l’un et l’autre refuge dans un cimetière, la voix du Commandeur, dont la statue orne la tombe, se fait entendre, menaçante. Alors que Leporello est pris d’effroi, Don Giovanni plaisante de la situation, invitant l’homme de marbre à dîner. Celui-ci accepte l’invitation ("O statua gentilissima"). Peu perturbé, Don Giovanni s’en va préparer la réception. Pendant ce temps, Don Ottavio propose à Donna Anna de l’épouser, mais celle-ci met en avant sa tristesse pour repousser leurs noces ("Crudele ? Ah no, mio bene!").