L’Ange Exterminateur en Avant-Scène Opéra
Troisième opéra du compositeur britannique Thomas Adès (né en 1971), après Powder Her Face (1995) et The Tempest (2004), cet opus créé à Salzbourg 2016 a été repris et filmé à New York, donné à Londres et Copenhague, toujours dans la même mise en scène du co-librettiste Tom Cairns. Il connaîtra ce 29 février 2024 sa première française, à l’Opéra Bastille. Le compositeur assurera la direction musicale de cette production, dans la mise en scène de l’espagnol Calixto Bieito. La fascination pour le film de Luis Buñuel sorti en 1962, El ángel exterminador est le dénominateur commun des concepteurs de ce spectacle.
L’Avant-Scène Opéra continue de proposer au public francophone, après 48 ans d’existence, des contenus d’une grande richesse. Loin de la tradition allemande des « Opernführer », de celle des encyclopédies à la Tout l’opéra de Gustav Kobbé, chaque numéro de cette revue est une invitation à découvrir de manière approfondie et resituée dans son actualité un classique ou ouvrage en train de confirmer son entrée au répertoire. S’il en est le complément, L’Avant-Scène ne se substitue pas au programme de salle qui, lui, est idéalement connecté à une production et se fait, dans le meilleur des cas, reflet ou miroir inversé des chemins empruntés par la réflexion des metteur en scène et dramaturge.
Des moyens musicaux expressionnistes pour un argument surréaliste
Après une table des matières destinée à mettre le lectorat en appétit, suivie du traditionnel argument de l’opéra, vient le « guide d’écoute », signé ici par Hélène Cao. The Exterminating Angel est un opéra en trois actes à l’action ramassée, un ouvrage donc relativement court (deux heures, rappelant Wozzeck de Berg, créé en 1925, ou Written on Skin du Britannique George Benjamin, créé en 2012). Si l’action n’est pas tout à fait linéaire (la représentation par Buñuel d’une bourgeoisie plongée dans les affres du déclin s’appuie sur les codes du surréalisme), ces clés d’écoute fonctionnent parfaitement pour ce répertoire d’opéra où la musique se veut filmique et descriptive, où la dramaturgie ne renie pas les canons du genre lyrique. Ces pages denses, riches et très utiles offrent une description approfondie du langage musical, après un passage obligé par une typologie des voix, dramatis personae (présentation des personnages) : les rôles (ici vingt-deux solistes) sont définis en fonction des tessitures et caractères vocaux.
Parmi les contributions particulièrement remarquées de ce numéro, figurent l’étude de Gabriela Trujillo sur le film de Luis Buñuel, mais aussi la perspective critique apportée par Delphine Vincent sur ce type d’ouvrage lyrique « basé sur un film ». Si d’aucuns y voient une mode des dernières années et la condition actuelle de survie du genre opéra et de l’ouverture à d’autres publics, il s’agit aussi indéniablement d’une source de créativité sans précédent. Vient ensuite dans la rubrique « les coulisses d’une création » un entretien de Tom Cairns mené par Raphaëlle Blin sur la rédaction du livret, effort de longue haleine, travail d’élagage, de synthèse et de resserrement de l’action.
Pour cet opéra qui entre tout juste au répertoire, le lecteur retrouvera néanmoins l’incontournable rubrique bibliographique mais aussi vidéographique, qui prend un sens tout particulier pour cette œuvre basée sur un film et renvoyant comme un miroir sa propre image au public de l'opéra. L’opéra d’après un film peut lui-même donner lieu à un film qui en souligne bien des aspects importants, c’est ce que s’attache à montrer l’article de Pierre Rigaudière sur la captation vidéo réalisée à New York de la production de Salzbourg. Cette mise en scène « originelle » y est mise en lumière tout en faisant espérer une proposition parisienne qui saura emporter l’adhésion collective.