Beatrice di Tenda, Avant-première d’un retour sur scène
Cet opus vient ainsi compléter la connaissance du catalogue du compositeur catanais, qui compte dix opéras, dont seule la moitié reste connue et à l’affiche (Il Pirata, I Capuleti e i Montecchi, La sonnambula, Norma, I puritani).
Beatrice di Tenda de Bellini ou l’innocence bafouée
Créé au Théâtre de La Fenice de Venise le 16 mars 1833 durant la période du carnaval, Beatrice di Tenda, opera-seria en deux actes n’est jamais parvenu véritablement à se maintenir au répertoire au terme de son douloureux échec initial.
L’histoire s’inspire de la tragédie bien réelle de Beatrice di Tenda et du seigneur de Vintimille, Orombello, accusés tous deux d’adultère et exécutés par la volonté du mari de la belle, le Prince de Milan, Filippo Maria Visconti (lui-même épris dans l’intervalle d’une autre jeune femme, Agnese Del Maino). Le librettiste de l’opéra, Felice Romani (qui a signé bien des chefs-d’œuvre) est parvenu à établir un livret romanesque (analysé dans cette parution par Adèle Yvon) doté d’accents puissamment dramatiques. L’action en elle-même se situe au début du XVe siècle en Italie médiévale, période chère au romantisme littéraire et théâtral du début du XIXe siècle, avec ses intrigues complexes, ses trahisons et ses crimes, ses références aux victimes vertueuses et innocentes comme Beatrice di Tenda (Tenda, désormais Tende en français, depuis qu’elle a rejoint l’Hexagone en 1947, étant désormais rattachée au département des Alpes-Maritimes).
La musique de Bellini marque en cet ouvrage une évolution esthétique certaine que son dernier opéra créé deux ans plus tard, I puritani développera plus avant, ce peu de temps avant la disparition tragique et prématurée du compositeur. Pour autant, malgré ses beautés indéniables, la partition ne se hisse pas tout à fait à la hauteur des chefs-d’œuvre absolus du compositeur. Les règles du bel canto romantique le plus accompli dominent pourtant une écriture vocale très exigeante, notamment pour la soprano interprétant le rôle-titre ainsi que pour le baryton chargé du rôle de Filippo dont l’approche requiert agilité et puissance expressive tout en préfigurant les barytons ultérieurs du répertoire lyrique italien.
L’Avant-Scène Opéra donne en ce numéro l’ensemble des clés indispensables pour aborder cet ouvrage que l’Opéra national de Paris s’apprête à présenter : une entrée à son répertoire et une nouvelle première en France depuis les représentations données au Théâtre Italien en 1840-1841. Afin de préparer au mieux le spectateur à l’écoute de l’ouvrage, la publication présente comme à son habitude l’argument détaillé, le texte intégral original de Felice Romani, également traduit en langue française, avec les commentaires musicaux se rapportant à chaque scène, aria ou ensemble, à travers un guide d’écoute.
Un chapitre présente notamment une analyse avertie des profils vocaux exigés des personnages principaux. Est également proposé un portrait complet et élégiaque de la mythique créatrice du rôle, la soprano Giuditta Pasta, Muse bellinienne par excellence, qui devait trouver en ce rôle de Beatrice son chant du cygne au terme d’une carrière intense qui l’a menée avec passion de La Norma à La Sonnambula. Le rapprochement avec Maria Callas est ici manifeste, même si cette dernière n’a jamais interprété le rôle de Beatrice di Tenda, le laissant à une autre diva d’importance de son temps, Joan Sutherland. Cette dernière assure la réelle résurrection de l’ouvrage à partir des années 1960, et le grave pour la firme Decca en 1966 sous la baguette de son mari Richard Bonynge pour la première intégrale de studio (avec un certain Luciano Pavarotti).
L’Avant-Scène Opéra aborde par le disque et la vidéo les autres interprètes féminines du rôle-titre, de Mirella Freni, à la fascinante Leyla Gencer, Mariana Nicolesco pour la seconde intégrale au studio dirigée par Alberto Zedda et enfin Edita Gruberová.
De nombreuses photographies des productions antérieures de l’ouvrage -toutes fort traditionnelles d’approche- illustrent ce numéro. Peter Sellars, qui aborde pour la première fois ce type de répertoire, livrera certainement une version plus décalée et actualisée de l’ouvrage.
Ce nouveau numéro de L’Avant-Scène Opéra constitue pour le futur spectateur une publication de référence avant d’aborder en toute sérénité l’une des neuf représentations de Beatrice di Tenda proposées à l’Opéra Bastille dans une mise en scène de Peter Sellars et placées sous la baguette de Mark Wigglesworth. La distribution vocale réunie autour de Tamara Wilson (Beatrice) réserve d’ores et déjà de riches promesses : Pene Pati (Orombello), Quinn Kelsey (Filippo), Theresa Kronthaler (Agnese) et Amitai Pati (Anichino), ainsi que Taesung Lee (Rizzardo).
Le compte-rendu de cette production sera bien évidemment à retrouver sur Ôlyrix et sur Classykêo.