Exhumation amadourienne de Contes mystiques
Contes mystiques est le titre d’une suite de poèmes, écrits par Stéphan Bordèse, fils du chanteur et compositeur napolitain Luigi Bordèse, et publiés en 1895 dans le recueil Nouveaux poèmes et poésies diverses. Ces « Contes mystiques » relatent l’enfance et les premiers miracles du Christ tels qu’ils sont racontés par certains écrits apocryphes. Ils seront aussitôt mis en musique par dix compositeurs et deux compositrices, parmi lesquels Gabriel Fauré, Camille Saint-Saëns, Jules Massenet, Pauline Viardot. Un an plus tard, ces Contes Mystiques sont donnés pour la première fois en récital à Paris.
Ce disque présente donc un premier intérêt, quasi-philologique. Si l'auditeur reconnaît les compositeurs ainsi que certaines Mélodies – telles que « En prière » de Fauré qui est encore souvent interprétée –, cette proposition, en donnant à entendre ces pièces dans leur configuration d’origine, est unique. Elle est également un nouveau témoignage des relations très étroites entre musique et poésie en cette courte période du symbolisme. Malgré la présence de quelques coquilles, notamment dans les poèmes de Bordèse, le livret, dans cette perspective testimoniale, reproduit d’ailleurs des articles de presse contemporains des premières créations. Enfin, le choix d’entourer ce corpus d’autres mélodies religieuses de Mel Bonis, de Reynaldo Hahn, de Francis Poulenc et quelques autres, resitue ces Contes Mystiques non seulement dans le contexte du renouvellement de la musique sacrée à la fin du XIXe siècle, mais également dans celui de ce large répertoire associé à l’histoire de Rocamadour et au service duquel œuvre son célèbre Festival depuis bientôt une vingtaine d’années.
Mais cet enregistrement va au-delà de ce seul aspect documentaire. Certes, avec son timbre de ténor léger, Enguerrand de Hys laisse entrevoir le type de voix appréciées à l’époque des premières créations de Contes mystiques : sa voix souple et facile, dotée d’une large palette grâce à laquelle les voyelles sont toujours claires et rarement altérées, même dans les notes les plus aiguës, lui garantit une grande intelligibilité. Mais, qui plus est, l’extension de sa technique, assurant une véritable résonance à ses graves et une grande liberté à son vibrato, ainsi que, indéniablement, sa déjà grande expérience à l’opéra, lui permettent d’offrir à ses interprétations une dimension dramatique qui met en relief toutes les tensions poétiques. Si bien qu’il semble appréhender ce corpus de mélodies religieuses avec la même force et le même engagement que nécessite le registre amoureux des grands airs et Lieder romantiques.
La connexion entre Enguerrand de Hys et le pianiste Paul Beynet semble traduire une certaine entente et une bonne connaissance entre les deux interprètes. Pour autant, Paul Beynet ne se contente pas d’accompagner le chanteur. Son jeu impose également souvent une dynamique et mène tout autant la danse. Cela apparaît nettement en comparant le prélude de Contes mystiques, composé par Augusta Holmès, avec les mélodies successives : il n’y a aucune différence d’intention entre le piano soliste et celui des duos, le jeu de Paul Beynet y est tout aussi affirmatif et généreux.
Et, en nourrissant les silences de la belle résonance qu'offre le Théâtre impérial Opéra de Compiègne où le disque a été enregistré, Paul Beynet contribue, lui aussi, à donner cette profondeur romantique à ce corpus symboliste.