David et Jonathas : jeunesse retrouvée et gravée avec le CMBV
Tombé dans un relatif oubli jusqu’à sa redécouverte dans les années 1980 grâce à une nouvelle production et un premier enregistrement dirigés par Michel Corboz, David et Jonathas semble revenir au goût du jour ces dernières années. En plus des productions scéniques, la discographie commence à s’étoffer. Précédant de peu cette parution, une gravure était déjà parue l’an passé au label Château de Versailles Spectacles.
Le présent enregistrement du CMBV convoque lui aussi un orchestre baroque spécialisé (Les Temps Présents, en l’occurrence) en se démarquant principalement par deux points : son attachement à la dramaturgie initiale et l’emploi important de jeunes choristes issus des rangs des Pages et des Chantres (enfants, adolescents et jeunes adultes) du Centre de Musique Baroque de Versailles (notamment pour les rôles mineurs ou certains ensembles) qui rappelle l’esprit de la création de l’œuvre en 1688 avec les élèves du Collège Louis-le-Grand.
Concernant la dramaturgie, une pièce du Père Chamillard (Saül) était originellement intercalée entre les actes de la tragédie de Charpentier, expliquant le fait que soient éludés certains passages dans cette dernière. Perdue, la pièce est présentement remplacée par des passages de la Paraphrase de la Plainte de David sur la Mort de Saül et de Jonathas (écrite quelques décennies plus tôt au XVIIème siècle par Antoine Godeau), déclamés par différents narrateurs. La volonté de transmettre à l’auditeur le sens du drame se manifeste aussi dans la parfaite diction de l’ensemble des chanteurs, un phrasé et des intonations en lien avec la signification de vers chantés.
Les deux disques se présentent dans un mini-livre carré, sobre mais complet et relativement aéré, à la couverture cartonnée. Le premier CD comporte le prologue et les deux premiers actes, le second les trois autres. La notice, en français et avec une traduction en anglais, contient le livret intégral, une présentation de certains des artistes, une note d’intention d’Olivier Schneebeli, une introduction aux enjeux de l’œuvre par Catherine Cessac ainsi que quelques photos et images.
La captation a été effectuée en direct à l’occasion d’une série de représentations concerts. Il serait possible de la qualifier de legs artistique pour Olivier Schneebeli dont il s’agissait du dernier concert avec les choristes du Centres de Musique Baroque de Versailles, qu’il formait et dirigeait depuis plus de trente ans avant de prendre sa retraite (à la tête de la Maîtrise en tout cas).
Dans ces conditions, la prise de son donne aux voix une légère sonorité artificialisée, les points d’émissions paraissant parfois éloignés tandis que certains instruments paraissent plus proches que d’autres. C’est ainsi que le clavecin couvre souvent les cordes et les bois dans les ensembles.
L’Orchestre Les Temps Présents dirigé par Olivier Schneebeli donne au drame vigueur et énergie et parvient à captiver l’auditeur dans cette tragédie biblique. Les tempi sont vifs. La durée totale est ainsi équivalente voire légèrement inférieure à celle des autres enregistrements malgré les textes additionnels. Au service de cette dynamique, les percussions sont particulièrement présentes dès l’ouverture donnant lieu à quelques coups d’éclats en lien avec le drame. Les bois teintent efficacement les différentes ambiances. L’obscurité sonore en fond des répliques de l’Ombre de Samuel au premier acte est à ce titre remarquée. Au clavecin, Dominique Serve (directeur et fondateur de l’orchestre) accompagne les récitatifs avec une ardeur énergique quitte à parfois verser dans la précipitation.
Clément Debieuvre propose un David sensible et émouvant dans le tragique. Les sentiments et notamment son affection pour Jonathas paraissent naturels. Le sens des mots imprègne le phrasé. La voix est toutefois assez nasale et manque légèrement d’ambitus pour révéler toute la richesse musicale du rôle.
Jonathas est chanté par Natacha Boucher issue des rangs des Pages du Centre de Musique Baroque de Versailles. L’aigu est agile. La pureté et l’androgynie de la voix correspondent bien au personnage, s’adaptant aux situations. Le faiblissement agonique à l’Acte V est ainsi efficacement retranscrit dans la voix. Le médium manque par contre légèrement de profondeur (et il aurait été possible de procéder à un premier enregistrement de Jonathas avec un chanteur enfant masculin).
David Witczak retrouve le rôle de Saül (qu’il incarnait dans l’enregistrement du label Château de Versailles Spectacles paru l’an passé). Il met à son bénéfice la clarté de son timbre de baryton. Sa technique de souffle lui permet de tenir les répliques même les plus longues tout en leur conférant du relief par des attaques pertinentes ou l’appui de certains mots.
Edwin Crossley-Mercer prête sa voix à la fois à l’Ombre de Samuel et à Achis. Il parvient à conférer un caractère distinct aux deux personnages. L’Ombre possède ainsi un grave profond et riche, quasiment de basse dont les vibrations se retrouvent en phase avec les harmonies de l’orchestre. Achis prend des couleurs de baryton plus classique, un peu plus clair et plus aigu. Sa voix se mêle avec synergie à celle de Saül dans leur duo très réussi au troisième acte.
La Pythonisse est chantée par Jean-François Lombard qui utilise beaucoup la voix de tête. Le souffle est efficace et il fait preuve d’aisance dans les mélodies. Certains aigus manquent de lumière ou se déforment dans les poussées mais les intonations adoptées rendent par contre la conviction des appels mystiques du personnage.
En Général Joabel, le ténor Jean-François Novelli met du mordant dans ses attaques, inscrivant le caractère exalté qu’il confère à ce rôle, avec également un timbre homogène.
Les Chœurs des Pages et Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles s’avèrent polyvalents dans la représentation des différents groupes de personnages. L’émergence de certains en solistes au-dessus des sections donne lieu à de belles envolées aériennes. L’unité est par contre parfois perfectible tout comme la justesse, en particulier pour les garçons concernant cette dernière.
Mené par un orchestre énergique et un plateau vocal de qualité, rompus aux spécificités du baroque français et malgré une prise de son imparfaite, cet enregistrement de David et Jonathas complète la discographie grâce à l’emploi de jeunes voix rappelant la création de l’œuvre au collège Louis-le-Grand et à la qualité musicale et déclamatoire des solistes.
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