Le Carnaval du Parnasse de Mondonville pour la première fois au disque
L’année 1749 vit, dans le cadre de l’Académie Royal de Musique, la création de deux ouvrages lyriques à la fois antithétiques et complémentaires, la tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau Zoroastre et le ballet héroïque Le Carnaval du Parnasse de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville. Après avoir enregistré le premier en 2022 pour le label Alpha, Alexis Kossenko livre aujourd’hui sa version du deuxième pour le Label Château de Versailles Spectacles.
Sur le plan dramatique, tout d’abord, difficile d'imaginer contraste plus fort entre le ton sérieux de la tragédie lyrique de Rameau et la légèreté toute badine dans l’argument du divertissement de Mondonville. L’opposition vaut également pour les choix musicaux des deux compositeurs. Aux rythmes subtils et aux harmonies sophistiquées de l’opéra de Rameau, Mondonville répond par une écriture simple, faisant largement appel à la mélodie d’inspiration populaire, ce que Le Mercure de France qualifiait « d'airs agréables et faciles, tant pour le chant que pour les danses, qui se répètent et se retiennent par les spectateurs ». Mondonville n’hésite pas non plus à recourir à une virtuosité vocale et instrumentale décomplexée, librement inspirée de l’influence italienne qui s’exerçait en France. Ce déploiement presque hédoniste de couleurs orchestrales, de danses endiablées et de chœurs savants dignes des grands motets ou oratorios contemporains, marque chacun des actes qui composent ce remarquable divertissement. De fait, l’ouvrage propose en creux, de par son argument qui met en scène Apollon, Momus et les Muses, une réflexion générale sur les arts et notamment, de manière implicite, sur l’opposition entre la musique française et la musique italienne de son époque. Il donne ainsi à se lire, de par ses choix structurels, comme une mise-en-abyme du débat appelé à faire rage dans la France du début des années 1750.
Conçu en son temps comme un hommage à la marquise de Pompadour, le ballet héroïque de Mondonville se présente en effet comme une sorte de marivaudage au cours duquel Apollon, les dieux et les Muses déguisés en bergers et en bergères dansent sur le Mont Parnasse, comparant tout à tour les vertus de leurs arts respectifs. Le personnage de Florine s'illustre ainsi, dès le Prologue, dans le léger et le brillant, tandis que Clarice fait l’apologie du tendre et du pathétique. Si cette opposition entre deux esthétiques met en lumière les deux grandes tendances de l'opéra français de l'époque, ce que tentent de synthétiser les trois actes donnés à l’issue du prologue, elle permet également, pour reprendre les termes du Mercure de France, de montrer « deux dames d'un goût différent se disput[ant] sur les agréments de la musique française et de l'italienne ». En somme, l’argument mis en scène dans l’opéra de Mondonville préfigurerait de quelques années celui qui allait, dans le cadre de la fameuse Querelle des Bouffons, opposer le « Coin du Roi » formé des partisans de l’opéra français, dont Rameau, au « Coin de la Reine », celui mené par Rousseau et autres défenseurs de la mélodie à l’italienne. De ce débat naît en tout cas une musique toujours plaisante, d’une incroyable fraîcheur et d’une vitalité à toute épreuve. Elle est en cela idéalement servie par la direction hypervitaminée d’Alexis Kossenko, à la tête des Ambassadeurs ~ La Grande Écurie qui semblent se délecter d’une partition jubilatoire, aux couleurs orchestrales véritablement enchanteresses. Les rythmes effrénés des différentes danses (gigues, tambourins, contredanses, menuets, airs en chaconne) revitalisent une action passablement convenue, portée par des airs habilement troussés et toujours savamment orchestrés.
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La distribution ne souffre d’aucune faiblesse, à commencer par le Chœur de Chambre de Namur, très présent et toujours bien chantant tout au long du prologue et des trois actes de l’opéra.
Les chanteurs solistes possèdent pour chacun d’entre eux les spécificités et caractéristiques vocales requises. Brillant, cristallin et d’une déconcertante facilité dans l’aigu et le suraigu, Gwendoline Blondeel sied particulièrement au personnage de Florine, censé incarné le charme de la virtuosité italienne. C’est à elle qu’échoit l’ariette « Augelletti », ainsi que le rôle de Thalie, muse de la comédie. Le soprano d’Hélène Guilmette, en Licoris, se détache par l’élégance de ses phrasés, la pureté de la ligne et la noblesse de la diction. Hasnaa Bennani, dans une série de petits rôles, fait montre elle aussi de grandes qualités vocales et musicales, tout en parvenant en quelques notes à caractériser chacun de ses nombreux personnages (Clarice, Euterpe, une Suivante de Terpsichore, une Vieille). Chez les messieurs, le haute-contre Mathias Vidal se montre pleinement capable d’évoquer par sa science vocale les différents dieux de l’Olympe qu’il tente de dépeindre à la demande de son comparse Momus, au cours d’une autre scène censée, implicitement, se lire comme une démonstration des pouvoirs expressifs de la musique. David Witczak, justement, possède du personnage de Momus, la divinité de la satire et de la raillerie, toute la verve et l’alacrité qui conviennent, incarnant face à Apollon une autre opposition esthétique : à la beauté apollinienne d’une action équilibrée et mesurée, s’opposent les excès du rire et de la démesure. Quoi qu’il en soit, le baryton souple et clair de David Witczak, très à l’aise dans la vocalise, permet au personnage de ne jamais sombrer dans la vulgarité. Enfin, les interventions très prometteuses d'Adrien Fournaison sont délivrées avec classe, élégance et autorité.
En somme, une découverte enthousiaste, moins légère qu’il n’y paraît, et qui donne envie d’entendre davantage d’ouvrages créés à la cour de Louis XV.