Fantaisies Lyriques au Off d’Avignon
Le spectacle débute en douceur avec Au Matin, extrait de Peer Gynt (Grieg), introduisant la première fantaisie, immergeant dans la quiétude d’un… bureau de la Caisse d’allocations familiales, où Viviane tombe doucement dans les bras de Morphée. Son collègue moustachu, Fulgence, amoureux d’elle, brave ses ronflements et autres bruits bizarres pour la réveiller par « pure conscience professionnelle ». Après Youkali de Kurt Weill, en guise d'intermède, une conversation intime révèle l’amour naissant entre ces deux employés dans un style coquin et joueur (j’y vais / j’y vais pas), exprimé à la fois théâtralement et vocalement.
Dans la deuxième fantaisie, un ténor en quête de gloire et habillé en beige retombe rapidement de son piédestal (rappelant « Ma vie de ténor… est un roman qui m’intéresse beaucoup ! », qui se joue également en ce moment au Off d’Avignon et chroniqué sur nos colonnes). Il rencontre son ombre, fidèle, mais lassée, chantant elle aussi (mais pas forcément mieux) pour exprimer son envie de liberté à travers l’air de Frantz, extrait des Contes d’Hoffmann (Offenbach). L’Ensemble Kaïnos illustre ainsi ces deux fantaisies pleines de surprises et de réflexions, captivant le public avec des compositions de divers horizons.
Viviane, l’employée somnolente, est interprétée par la soprano Claire Nicolas, dont la voix limpide et soyeuse, ornée d’un joli vibrato naturel, produit des aigus ronds et puissants. Elle accompagne son chant joliment nuancé d’un jeu scénique charmeur et dynamique, faisant rire le public grâce à ses expressions faciales volontairement accentuées. Le ténor François Hollemaert, interprétant Fulgence et l’ombre du ténor, offre une voix claire et large, qu’il accentue dans ses passages forte, aux aigus puissants et soutenus (un peu en force, cependant). Il joue également avec des aigus en voix de tête, imitant le bruit des pigeons ou craquant des aigus volontairement, dans l’air de Frantz. Les quelques petites instabilités vocales passent inaperçues face à son jeu scénique débordant de dynamisme et de coquetterie, attirant facilement les regards vers lui. Jean-Christophe Henry, interprétant le ténor dans la deuxième partie du spectacle, fait montre d’une voix ensoleillée, large et puissante, résonnant dans toute la salle, accompagnée d’un vibrato léger. Sa Donna è mobile est volontairement imparfaite : prononciation de l’italien imprécise par moments, aigus difficiles et trop en arrière, et appoggiatures pas très agiles, provoquant la colère de son ombre, qui décide de le quitter. Pendant leurs disputes et même une fois les différends réglés, les deux ténors interprètent des duos d’opérette (Toi c’est moi, L'Étoile et Le Sire de Vergy) qui leur permettent de mélanger leurs voix aux timbres similaires. Dans cette deuxième partie, les deux ténors proposent un jeu scénique plein d’énergie, léger et comique, permettant au public de bien suivre leur texte.
Les deux fantaisies sont accompagnées par les musiciens de l’ensemble : Elise Veyres (harpe), Anna Stavelova (flûte traversière) et Guilain Desenclos (basson et hautbois). Ils accompagnent les chanteurs avec délicatesse, agilité et des phrases musicales bien menées. Leur rôle ne se limite pas à l’accompagnement des chanteurs : ils font partie intégrante des histoires, interagissant et prenant la parole pour donner leur avis. Habillés de manière décontractée dans le bureau de la Caf, ils jouent les collègues qui « travaillent » en arrière-plan. Dans la deuxième partie, habillés en noir, ils restent plus discrets, mais interagissent plus souvent avec les chanteurs.
Le public, amusé par leur prestation, remercie les artistes avec enthousiasme jusqu’à ce qu’ils quittent la scène après leur dernière révérence.