Jeu de troubles et de mystères avec Enigma par Sarah Aristidou
Du Lied à la mélodie française, sans oublier la musique contemporaine, les artistes entraînent l’auditeur dans un étrange voyage nimbé de mystère, de la vie à la mort. C’est cette boucle éternelle que vont raconter les œuvres choisies, partant d’un « cri » initial (symbolisé par le morceau d’ouverture, le Lamento turco d’Andreas Tsiartas) jusqu’aux derniers soupirs (dans l’énigmatique Sphinxensprüche und Rätselkanons de Jörg Widmann où le chant est en partie réduit à un murmure, sur lequel s’achève l’album).
Mais l’album ne se réduit pas à la simple description de ce cycle. Une autre volonté s’y ajoute, celle d’allier à cette répétition la notion de mystère – d’où le titre, d’où le choix de certaines œuvres, notamment du Harawi de Messiaen qui illustre parfaitement ces trois thèmes (vie, mort et mystère) en une seule pièce. Reste une dernière idée à mettre en œuvre dans le disque : celle – selon les mots du livret – du lien entre deux termes grecs : ήχος, le « son originel » et ηχώ, l’« écho ». Dans un jeu de philosophie grecque, le livret présente cet écho comme la réponse possible à l’énigme posée : chaque vie serait l’écho d’une autre.
Dans ce disque, Sarah Aristidou s’applique à varier les usages du chant, passant du « cri » aux vocalises, au chant classique et enfin, au murmure. Chaque morceau est pour elle une opportunité de mettre en scène sa voix, dont c’est la théâtralité auditive qui perce : la soprano démontre un chant capable d’être à la fois saillant et doucement modulé. À cela s’ajoute un timbre en clair-obscur vibrant et nuancé, ainsi qu’un très bon travail de diction (en particulier en russe pour Rachmaninov et en français pour les Cinq mélodies populaires grecques de Ravel). Malgré tout, cette « mise en scène » épuise facilement la voix et les fins de phrases, en particulier en allemand, sont plus difficiles à tenir, voire s’achèvent dans un essoufflement.
Elle est accompagnée au piano par Daniel Arkadij Gerzenberg, qui propose un jeu à la fois simple et souple, glissant avec finesse sur ses notes et ajoutant une touche de légèreté. Il crée un bon duo avec Jörg Widmann à la clarinette (lequel a déjà travaillé avec Sarah Aristidou sur son opéra Babylon), notamment dans Enigma, une des pièces centrales de l’album, basée sur un poème yiddish. Le morceau s’ouvre sur une dimension spatiale, éthérée qui n’est pas sans rappeler les premières notes d’Ainsi parlait Zarathoustra de Strauss.
C’est d’ailleurs à nouveau sur la notion de mystère que se clôt l’album. Sphinxensprüche und Rätselkanons (Dictons de Sphinx et Canons d'énigmes) achève de laisser l’auditeur dans le trouble, l’inconnu où résonne un dernier mot, en « écho ». Ce trouble est notamment créé par le jeu de dissonances de la clarinette, les murmures de la voix et les énigmes posées par le sphinx.