Carmen autour de quatre pianos en tournée française
La metteuse en scène Sandrine Anglade apparaît présente dans le monde du théâtre et de l’opéra depuis bientôt 25 ans. Elle a déjà porté à la scène avec succès plusieurs ouvrages lyriques, comme Le Viol de Lucrèce de Britten à l’Opéra de Nantes, Roméo et Juliette de Gounod à Bordeaux ou plus récemment Wozzeck d’Alban Berg à l’Opéra de Dijon pour la création locale de l’ouvrage. Passionnée par le théâtre de William Shakespeare, elle a créé en 2004 sa propre compagnie qui depuis s’attèle à présenter ce vaste répertoire en collaboration avec le jeune dramaturge et traducteur de l’œuvre du maître anglais, Clément Camar-Mercier. Ce dernier s’est chargé de retravailler le texte de Carmen tout en restant suffisamment proche de l’esprit initial, ce afin de réduire le spectacle à une durée de 2 heures environ.
"Un piano dans la montagne" et même quatre
Le pianiste et compositeur Nikola Takov a pour sa part adapté la partie musicale -avec une habileté certaine- pour quatre pianos, 10 interprètes chanteurs ou acteurs/chanteurs et un ensemble de jeunes voix amateures spécifiquement préparées pour cette soirée au sein du Conservatoire Maurice Ravel du Perreux-sur-Marne. Ils s'appliquent en petits soldats de la garde montante. Par contre, de fait, les grandes parties de chœur comme au début du quatrième acte devant les Arènes de Séville ont été coupées. Nikola Takov assure depuis son piano la direction musicale de l’ensemble.
Sandrine Anglade propose ainsi un spectacle de troupe adapté à l’itinérance et racontant l’histoire de Carmen sans nier sa violence, son intensité ou son exigence de liberté. Le dispositif scénographique simple et efficace élaboré par Goury permet d’aller à l’essentiel du propos, avec la participation active des pianistes notamment qui quittent leur piano pour jouer d’autres instruments comme le violoncelle ou même chanter pour cette occasion -de façon surtout musicale- et interpréter scéniquement les rôles de Frasquita et Mercédès (Julie Alcaraz et Julia Filoleau). Avec Benjamin Laurent, chef de chant qui interprète en sus Morales, les quatre pianistes assument pleinement l'enjeu de la partition ainsi concentrée et voyageuse, à travers ses couleurs et ses rythmes.
Chaque interprète se doit d’être ainsi polyvalent, les quatre pianos droits eux-mêmes se trouvant placés sur des estrades qui tournent au gré de l’action et des scènes successives. Le comédien Florent Dorin anime par différents rôles et interventions le spectacle, apportant une note d’actualisation bienvenue. De même, le comédien Rony Wolff incarne successivement Zuniga et le Dancaïre en version plutôt parlée.
Dans le rôle-titre, la mezzo-soprano Manon Jürgens dispose d’un chant généreux et charnu, campant une Carmen résolue et bousculant ses partenaires. Elle occupe la scène avec une ardeur et une volupté naturelle qui gagnent en expressivité, en tension jusqu’à son meurtre par Don José (non par poignard d’ailleurs mais par étouffement selon le choix opéré par Sandrine Anglade). Le ténor Pierre-Emmanuel Roubet aborde le rôle de José avec un bel aplomb et des moyens vocaux adaptés. Son chant s’avère à la fois solide mais aussi soucieux des nuances et de l’émission des aigus donnés souvent en demi teintes.
Acteur plutôt que chanteur, Antoine Philippot à la présence imposante et bien en accord avec son rôle d’Escamillo, ne dépare pas bien au contraire. Sa force virile ne peut effectivement qu’attirer Carmen. Le soprano de Parveen Savart manque encore de couleur pour Micaëla qui requiert plus de présence et de diversité dans les modulations. Mais l’engagement est indéniablement sincère.
Le public emplissant la salle affiche son enthousiasme. Créée le mois dernier sur la Scène Nationale du Sud-Aquitain/Bayonne (lieu de résidence de la Compagnie Sandrine Anglade), cette Carmen interdisciplinaire poursuivra sa route en Île-de-France et au-delà, avant d’être reprise notamment à l’Opéra de Limoges la saison prochaine.