Un siècle chantant : voyage au cœur de l’opéra vénitien avec Le Stagioni
Ce « siècle chantant » est ici plus particulièrement le deuxième quart du XVIIe siècle, lorsque l'opéra profite de Venise et du Carnaval pour passer de la sphère aristocratique au domaine public, toujours pétri d'expérimentation mais aussi de Commedia dell'arte. Tout au long de l'enregistrement, la basse continue joue un rôle central, émaillé d'expérimentations fascinantes, illustrant dans l'imaginaire ces décors grandioses et machineries scéniques.
Le programme de ce disque réunit ainsi les compositeurs ayant apporté l'opéra à Venise et au peuple, à commencer par leur figure tutélaire, Monteverdi mais en plongeant également dans des catalogues bien plus rares et oubliés.
L'enchaînement des morceaux sur cet album tient ainsi lieu d'un catalogue raisonné mais aussi dans la mesure où il se structure tel un opéra imaginaire, traduisant la richesse des opéras vénitiens, du lien entre musique et théâtre (en une musique théâtrale), basculant des moments comiques aux tragédies émouvantes, avec une vivacité constante restituée par Le Stagioni (d'autant que l'effectif instrumental concentré rappelle aussi les contraintes logistiques et financières de l'époque, celle où l'opéra devient un commerce rentable).
La voix, vecteur du texte et du lyrisme par excellence, est particulièrement mise en avant pour son expressivité dans ce répertoire et cet enregistrement. Celle d’Emmanuelle de Negri rayonne ainsi particulièrement par son timbre rond et caressant, toujours dosé avec maîtrise et à propos. Tantôt claire, tantôt large, elle parvient avec aisance à passer de la profonde émotion au quasi-burlesque (idéal évidemment pour l’air de la folie de La Finta Pazza, œuvre centrale de l’enregistrement, dans lequel elle incarne une Déidamie aussi effrayante que comique). Rien qu'avec le son (de ce disque, et en suivant le livret complet d'accompagnement), l’auditeur se figure aisément la scène, vivante : autant que le Pianto della Madonna de Monteverdi, réécriture du Lamento de son Arianna (rappelant la richesse de ces opéras et les très nombreuses résonances entre les musiques, profanes ou sacrées : Sérénissimes).
La richesse de ce répertoire se déploie ainsi, sur et par ses différents interprètes. Blandine Staskiewicz (qui incarne Pénélope) fait pour sa part entendre une voix chaleureuse et particulièrement caressante voire sensuelle dans les graves. Le timbre du contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian tutoie celui d'un contralto charnu et lumineux à la fois, offrant d’amusantes et non moins convaincantes interventions. Le ténor Zachary Wilder affirme son timbre chaleureux et sûr, soigneux du texte, soucieux de son interprétation expressive et équilibrée. La basse Salvo Vitale offre de profonds et sombres graves.
L'ensemble Le Stagioni dirigé par Paolo Zanzu se montre pleinement équilibré, très vivant avec un son clair au service de phrasés aussi tendres que dansés. Les trois intermèdes instrumentaux, brèves respirations musicales, se font ainsi charmants par l’élégance de leurs propositions. Ainsi finement soutenus, les solistes offrent une plongée musicale vivante et touchante dans l’opéra vénitien du XVIIe siècle, époque flamboyante où la musique et le théâtre se rejoignent pour créer des chefs-d'œuvre qui restent marquants jusque dans le cœur des auditeurs contemporains (a fortiori quand ils sont ainsi interprétés voire exhumés).