Sonya Yoncheva, supernova de la saison bordelaise
Lors de son dernier passage à Bordeaux, le Grand-Théâtre avait été son écrin. Celui-ci étant occupé par la préparation de Rusalka, c’est à l’Auditorium que se sont réunis les amateurs de la voix d’ambre d’une des icônes internationales du chant lyrique.
Ad una stella (“à une étoile”, en français). Le titre de ce récital est tiré d’une des mélodies de Verdi qui résonne durant ce concert. Mais il pourrait tout aussi bien qualifier la tête d’affiche du soir, car Sonya Yoncheva est bien une des stars du chant lyrique. Tosca à Vérone, Madame Butterfly au Staatsoper de Vienne, Norma au Met de New York : la seule ligne 2023 de son CV suffirait à remplir celui de n’importe laquelle de ses collègues chanteuse, voire même à la rendre un peu jalouse…
L’Opéra National de Bordeaux poursuit ainsi dans sa tradition de proposer de prestigieux récitals et pourtant la salle n’est hélas qu’à moitié remplie (peut-être en raison de la concurrence “interne” avec la production de Rusalka). La voix de Sonya Yoncheva y résonne d’autant plus.
Pour l’occasion, la soprano bulgare a compilé un programme aussi intéressant sur le plan musicologique qu’étonnant sur le plan vocal. Composé exclusivement de mélodies dans la première partie, il fait la part belle aux airs d’Opéra après l’entracte. L’occasion d’admirer d’abord quelques perles rares du XIXème siècle italien (autant d’esquisses pour leurs grands airs, où l’on reconnaît le Bel Canto finissant de Verdi, et le lyrisme absolu naissant de Puccini), avant de retrouver de grands classiques (“Vissi d’arte” extrait de Tosca, “Un bel di vedremo” de Madama Butterfly, “Donde lieta usci” de La Bohème, entre autres).
Il y aura eu deux Sonya Yoncheva ce soir. Dans la première partie, parsemée de quelques aigus certes, mais qui accentue bien plus les passages entre les registres (voix de tête, mixte appuyée, voix de poitrine), la technicienne fait preuve d’une grande intelligence, n’hésitant pas à privilégier un spinto redoutablement efficace pour économiser l’ampleur du timbre, et conserver de l’énergie pour les redoutables sommets de la deuxième partie. Cette façon de placer sa voix très haut est d’une grande utilité pour passer la rampe sans effort, mais elle altère un peu le timbre, le teintant d’une certaine acidité. Quelques exceptions à cette méthode sont d’autant plus notables, comme l’Ideale de Paolo Tosti, où le velours des médiums de Sonya Yoncheva fait planer une douceur sur toute la salle.
De retour après l’entracte, le public se prépare au grand frisson à la seule lecture du programme. Dès le premier aigu de “Se come voi piccina” (Le Villi), la voix emplit chaque recoin de l’auditorium qui devient le diapason sur lequel s’accorde l’émotion. Cette deuxième partie, plus courte, diffuse visiblement un frisson permanent en salle, chaque apogée déclenchant la suivante dans un espace musical saturé de son où se déploie le timbre ambré de la soprano. La parfaite maîtrise technique lui permet de librement souligner chaque inflexion de la ligne, y compris d’un mouvement de bras, comme de se tourner vers les galeries pour faire profiter chaque spectateur de l’impact direct de sa voix.
Entre ces quatre sommets de l’Opéra, une respiration était bienvenue. Malcolm Martineau, accompagnateur très prisé dans le monde lyrique, offre l’interprétation du Tango en Ré d’Albeniz. Cette belle surprise allège un peu l’atmosphère chargée en drame, en la teintant d’une douce badinerie. Le pianiste aura tout au long de la soirée fait preuve d’un grand métier, ne ratant aucun des traits virtuoses de ses réductions d’orchestres, le regard toujours levé vers sa soliste du jour pour guetter les respirations et retarder ses départs après les nombreux points d’orgues de cette musique qui exige la liberté. C’est lui qui posera les dernières notes de la soirée à la fin d’Un bel di vedremo, déclenchant l’ovation unanime d’un public conquis.