La Guilde des Mercenaires grave la Riposte
Lassés d’une musique risquant de devenir inintelligible par une richesse d’ornementation trop grande des mélodies et un contrepoint trop complexe – et également contraints par des autorités religieuses se plaignant d’un texte ainsi déprécié –, des compositeurs italiens du XVIIe siècle cherchèrent une musique à la fois plus libre et ainsi plus expressive. Leur nouvelle pratique de fait nommée seconda pratica (seconde pratique) développe ce qui deviendra la base essentielle de toute l’ère Baroque : la basse continue. Néanmoins, ne souhaitant pas rejeter une fascination pour l’art du contrepoint et de la polyphonie, certains imaginent un compromis en écrivant des duos avec basse continue : une double riposte en somme. Sous la coordination artistique d’Adrien Mabire, de talentueux jeunes musiciens de la scène baroque se sont de nouveau réunis en une Guilde des Mercenaires pour explorer ce répertoire, où les qualités vocales et instrumentales se mélangent harmonieusement. Cette confrérie d’amis musiciens exigeants fait ainsi entendre œuvres connues et autres trésors cachés dans ce nouvel enregistrement, Riposta chez le label L'Encelade.
C’est effectivement la vocalité de la musique qui se fait continuellement ressentir dans les œuvres de ce programme. Tout d’abord bien entendu, par la voix claire et lumineuse de Violaine Le Chenadec qui interprète avec délicatesse l’hypnotisante berceuse Hor ch’e tempo di dormire de Tarquinio Merula. Son latin est par ailleurs quelque peu à la française alors que son italien se montre très expressif grâce à une attention toute particulière envers la sonorité des mots (surtout de certaines consonnes sur lesquelles elle s’appuie). Les instruments se mêlent souvent à cette voix comme en dialogue mais ils savent lui laisser une appréciable liberté qu’elle saisit amplement lors de certains airs dramatiques.
Violaine Le Chenadec forme un duo avec le cornet à bouquin d’Adrien Mabire, remarqué pour leurs plaintives lamentations. L'instrumentiste sait déployer des qualités "vocales", ses phrasés servant un discours limpide avec des élans ornementés, fluides et virtuoses. Pour faire écho au timbre rond du cornet à bouquin, une mystérieuse voix de contre-ténor surgit également, comme dans une lumière légèrement tamisée (le livret du disque ne lève pas le mystère sur cette voix, ne l'identifie pas comme étant celle d’Adrien Mabire lui-même). Les grandes qualités du basson de Jérémie Papasergio ne manquent pas moins d’une maîtrise "vocale", dans ses lignes transparentes et intimement expressives, et surtout ses couleurs de phrasés patentes.
Les autres "mercenaires"-musiciens se montrent de très attentifs accompagnateurs tout en parvenant à se faire véritables acteurs de ces œuvres, sans jamais se mettre exagérément en retrait sauf quand la cohérence de la musique l’impose. Bien que l’effectif soit réduit, le résultat sonore ne souffre jamais d’une quelconque sensation de vide sonore tout en laissant chacun sa place d’expressivité.
La Guilde des Mercenaires offre ainsi, avec cet enregistrement intime et éloquent, un intéressant voyage sonore au cœur du XVIIe siècle vénitien. La symbiose entre voix et instruments traduisant par la délicatesse un plaisir évident de se retrouver et de partager ce répertoire où chacun trouve naturellement sa place.