Jorge Lavelli (1932-2023), homme de théâtre et d'opéra
Venu à Paris au début des années 1960 de son Argentine natale, Jorge Lavelli se fait remarquer très rapidement sur les scènes de théâtre françaises. Son intérêt premier le porte vers le répertoire contemporain. Il fait ainsi découvrir ou redécouvrir au public français tant les textes de l’agitateur Copi que les pièces d’Arrabal ou d’Harold Pinter. Jorge Lavelli sera plus tard le directeur inaugural du Théâtre de la Colline à Paris où il continuera son travail de décryptage sur cette même lancée, tout en acceptant de nombreuses invitations à l’étranger ou même à la Comédie Française.
Très logiquement, il finit par aborder l’opéra, d'abord en 1970 à Vienne avec Le Procès opéra kafkaïen de Gottfried von Einem, puis en 1975 avec une mise en scène saluée en son temps d’Idoménée de Mozart présentée au Théâtre Musical d’Angers alors dirigé par Jean-Albert Cartier (et dont nous parlait encore très récemment l'actuel Directeur Alain Surrans). La beauté de cette production montée avec des moyens limités fera date.
Dans la foulée, Rolf Liebermann, directeur de l’Opéra de Paris, lui confie la nouvelle production du Faust de Gounod en juin 1975 au Palais Garnier. Respectant le texte et la musique, Jorge Lavelli lui confère une part indispensable de modernité et de clarté. Le soir de la première et les suivantes, le scandale s’avère énorme pourtant. Sous la coupole imposante élaborée par son collaborateur de toujours Max Bignens -créateur des décors et des costumes- le Faust de Gounod se régénère. Si l’apparition de Méphisto sans plume au chapeau et surgissant tout à coup de dessous un tas de vieux journaux surprend, que dire de cet étalage de draps blancs immaculés au jardin de Marguerite abattu par Méphisto lorsque la jeune femme cède charnellement à Faust ou à la démultiplication du diable à la scène de l’église, voire à l’apparition de Marguerite au finale en camisole de force. Le retour peu glorieux du combat des guerriers éclopés et enveloppés de bandages fait exploser la salle avec sa vision délibérément anti militariste ! Comme Patrice Chéreau, avec d’autres qualités et une sensibilité somme toute différente, Jorge Lavelli s’impose comme un metteur en scène de premier ordre, novateur, toujours soucieux du texte et du contexte, mais sachant aussi être provocateur au besoin.
À l’Opéra de Paris, il montera 11 ouvrages lyriques différents de Faust, qui deviendra rapidement une évidence esthétique et restera à l’affiche jusqu’en 2003 à Pelléas et Mélisande de Claude Debussy placé sous la menace des ayants-droits du compositeur. Plutôt que de montrer la chevelure descendant de la tour, Jorge Lavelli suggère et fait appel à l’imaginaire du spectateur.
Les autres réalisations alterneront entre le moins abouti, comme un Dardanus de Rameau d’avant les approches nouvelles du répertoire baroque ou Salomé et les réussites accomplies. Se rattache à ce chapitre, le diptyque réunissant L'enfant et les sortilèges de Ravel & Colette avec Oedipus Rex de Stravinsky porté par Maria Casarès en ardente récitante ainsi que Viorica Cortez en Jocaste du haut du plateau de plus en plus penché vers la fosse d’orchestre de la scène de Garnier.
La production de La Veuve joyeuse inaugurée en 1997 restera au répertoire de l’Opéra Bastille pour sa part jusqu’en 2017 (notre compte-rendu) ! Un an avant, Jorge Lavelli signait la conception, la mise en scène mais aussi le livret -d’après la pièce éponyme de Copi - de L'Ombre de Venceslao, composé par Martin Matalon.
Jorge Lavelli fut par ailleurs un fidèle du Festival d'Aix-en-Provence avec déjà en 1975 un brillant Carnaval de Venise de Campra, une Traviata victime sociale révélant une cantatrice/artiste fascinante, Sylvia Sass l'année suivante, et en 1978, Alcina de Haendel magnifiée par l’interprétation vocale de Christiane Eda-Pierre dans le rôle-titre et de Teresa Berganza en Ruggiero.
Jorge Lavelli monta de nombreux ouvrages lyriques en France (Fidelio de Beethoven et le rare Rienzi de Wagner à Toulouse), ainsi qu'en Allemagne notamment et dans son pays natal, l’Argentine. Très souvent récompensé, Jorge Lavelli a ainsi mené une carrière particulièrement riche et productive sur plus de 50 années.