Il Transilvano : l’Italie en Hongrie au XVIIe siècle
La "sérendipité", cette découverte inattendue est sans doute l’un des alliés les plus fidèles de la recherche musicologique de la Renaissance. C’est ainsi par un heureux hasard qu’est redécouvert en 1988 dans un couvent franciscain roumain un recueil d'œuvres italiennes et allemandes du XVIIe siècle ainsi que des danses et des sonates hongroises et roumaines. Vraisemblablement emmuré volontairement afin de le protéger de l’armée soviétique, ce Codex Caioni –du nom de son dernier contributeur, János Kájoni (Johannes Caioni)– manifeste des riches échanges qu’entretenaient les musiciens hongrois avec les autres musiques européennes, et inversement également. Ayant débuté leurs résidences et leurs tournées de concerts dans les pays de l’Europe de l’Est (et deux de ses membres étant hongrois), l’Ensemble Prisma rejoint par le contrebassiste et théorbiste Gábor Juhász s'est ainsi saisi du contenu de ce codex pour ce nouvel enregistrement.
C’est notamment la viole de gambe de Dávid Budai, à la sonorité légèrement et agréablement acide, qui illustre toute l’agilité des musiques traditionnelles hongroises. Par son archet frottant avec présence sur les cordes de son instrument, il apporte un grain de son particulièrement savoureux dans le grave et, par ses glissements, un caractère presque sensuel à la chanson Hajnali (Prière du matin), dont le récitatif ressemble à une improvisation lyrique. Elisabeth Champollion fait preuve de virtuosité avec une flûte kaval moldave et avec la violoniste Franciska Hajdu dans les chants folkloriques autant que dans les œuvres Renaissance. La violoniste fait également entendre sa voix au timbre volontairement nasal sans jamais perdre de délicatesse, notamment grâce à une constante maîtrise du soutien de ses phrasés, ponctués par un léger vibrato. Les quatre instrumentistes se mettent tous à prêter leur voix pour une partie de la canzone Elment a két lány virágot szedni qui, après des arrangements instrumentaux effervescents, inspire un apaisement équilibré.
Si les chansons traditionnelles restent les plus marquantes (car sans doute les plus originales et interprétées avec savoir-faire et passion), les extraits du codex aux origines étrangères ne manquent néanmoins jamais de charme, voire de séduction toute italienne, entre autres par les jeux de réponses entre les instruments, la finesse des nuances et la tendresse des ornementations. Telles sont par exemple les œuvres de Biagio Marini, Giovanni Picchi ou Orazio Tarditi. Mais c’est avec l’œuvre finale Legényes, une compilation de danses pratiquées dans la région de Kalotaszeg, que l'auditeur se prendrait à danser, le bonheur des musiciens étant palpable même à travers le disque.