L’autre Rossini : Michael Spyres en Lundi Musical à l’Athénée
Avec l’arrivée des artistes devant la salle comble, l’introduction sympathique de Mathieu Pordoy et les quelques mots de français de Michael Spyres, le ton est donné : le plaisir musical primera sur la solennité de l’exercice du récital, sans sacrifier l’exigence artistique, bien au contraire. Dès les premières notes de L’Âme délaissée, le ténor impressionne visiblement l’auditoire : le français coule presque sans accent avec une articulation délicate et précise, la voix possédant une ductilité constante qui permet au chanteur de passer du piano au forte par le souffle et de colorer les sons tout en phrasant avec une grande musicalité. C’est aussi l’occasion de découvrir un Rossini inspiré, qui exige le meilleur des voix, même dans ce répertoire. En témoigne le morceau suivant, l’Élégie (« Adieux à la vie ») où Michael Spyres parvient à faire oublier que tout le texte ne se chante que sur une seule note par son engagement dans les mots et sa capacité à varier les couleurs, de la déclamation la plus dramatique au piano lumineux qui brille doucement. Suivent les plaintes de Roméo à sa Juliette qu’il croit disparue : une petite scène de drame où Rossini s’amuse à bousculer la prosodie, enchaînant les vers jusqu’à perdre haleine. Michael Spyres s’y engage tout entier, sans jamais faire basculer la musique dans l’exercice vocal.
Le ténor possède un timbre à la fois doux et claironnant, avec cette couleur un peu nasale qui accroche agréablement l’oreille. Le son, très homogène, s’ouvre vers des aigus impressionnants, la couleur sait être sombre, son legato charmeur. Le chanteur rend aussi le second degré d’une mélodie comme Le Lazzarone qui vante les mérites de Naples, donnant toute sa saveur à des vers comme “Ô Jus ! Ô fromage, climat béni, Ô tomates ! Ô Macaroni”, dans un français modèle.
Certains forte dans l’aigu sont certes un peu larges et moins brillants que le reste de la voix. Une légère fatigue se fait aussi entendre à la fin du récital (l’économie n’est pas la marque du ténor) et certaines vocalises, si elles ébouriffent grâce à la technique du chanteur, sont moins colorées. Mais même avec une petite interruption causée par un problème de tablettes, La Danza prise à un rythme effréné renverse tout sur son passage et fait vite oublier l’incident.
Mathieu Pordoy au piano écoute, attend et phrase avec la même musicalité que son partenaire, dans une osmose d’intention. S’il semble moins à l’aise dans les traits les plus virtuoses, le même sens du phrasé, de la couleur et de la narration se retrouvent dans ses interventions solistes, notamment Un Rien pour piano n°11 qui sonne comme du Chopin.
Trois bis récompensent un public visiblement conquis, applaudissant avec des chaleurs des artistes aussi généreux.