Requiem de Verdi au TCE : théâtre liturgique, entre angoisse et recueillement
Le Requiem commence avec l'éveil des violoncelles, quasi inaudible, invitant à l'écoute et au recueillement. Vient ensuite l'accord associé au nom de l'œuvre, appel sinistre de l'orchestre et du chœur qui se déploie jusqu'à l'avènement lumineux des quatre voix solistes. Le reste de l'œuvre oscille entre ces deux tensions (noirceur du doute, clarté de l'espoir), éternellement déclinées au gré des textes liturgiques dans une quête angoissée et romantique d'apaisement.
Cette dialectique trouve un intérêt renouvelé sous la baguette du chef italien Daniele Gatti qui prend soin de faire entendre le texte d'un bout à l'autre de l'œuvre malgré les acmés musicales et l'urgence de certains tempi. Si plusieurs choix surprennent (la lenteur des "Dies Irae" par exemple), l'ensemble trouve vite une cohérence théâtrale, notamment dans l'intelligence du travail accompli avec les solistes.
Michael Spyres, tout d'abord, livre une lecture religieuse et bienvenue de la partition, éloignée d'une certaine vaillance à laquelle elle est (trop) souvent associée. La voix, claire et souple, puise dans toutes ses ressources pour illustrer au mieux la liturgie, allant de la douceur de la voix mixte à l'airain du grave sans jamais heurter la ligne. La grande maîtrise technique de l'artiste lui permet de ciseler à loisir chaque intervention avec une liberté proportionnelle aux moyens déployés, offrant des moments de grande poésie comme l'Ingemisco, très subtilement interprété, ou le Hostias en apesanteur.
Eleonora Buratto possède une voix puissante et donne à entendre un timbre rond et capiteux. Si le son paraît un peu fermé durant la première partie, il s'épanouit dès l'Offertorium pour offrir un Libera Me final saisissant, sans que jamais la voix n'accuse le moindre signe de fatigue. Outre les piani alanguis et les suraigus brillants, c'est la grande musicalité de l'artiste et la richesse de ses graves poitrinés qui parviennent à rendre la complexité émotionnelle de l'œuvre.
Marie-Nicole Lemieux a pour elle une présence charismatique dont elle fait bon usage pour exprimer au mieux l'inquiétude qui parsème sa ligne de chant. Si certains aigus sont un peu durs et certaines notes projetées de façon incertaine, le timbre est riche, soyeux et la diction très appliquée. Son Liber Scriptus se place immédiatement mais c'est dans les parties plus lyriques (comme le Lux eterna) que la voix révèle ses plus riches couleurs et que l'artiste semble la plus habitée.
Si la voix de Riccardo Zanellato possède un grain noir et un engagement évident, l'émission manque de la largeur qui donnerait à cette partition toute sa force, notamment dans le Lacrimosa ou l'Offertorium où la basse porte l'équilibre des quatre voix.
Le son des Chœurs de Radio France (dirigé par Alessandro Di Stefano) et de l'Armée française (direction Aurore Tillac) ne se déploie jamais totalement, la faute aux masques qu'ils portent du début à la fin de la représentation. La maîtrise de la partition est cependant manifeste, l'homogénéité et l'expressivité des pupitres appréciées.
L'Orchestre National de France, très impliqué théâtralement, donne à entendre un son uni, capable de nuances, malgré une tendance à jouer très fort, ce qui a parfois pour conséquence paradoxale d'atténuer les effets recherchés. Néanmoins, stimulés par la direction, les divers pupitres parviennent à mettre en avant des phrases et des nuances qui, souvent, disparaissent dans une lecture plus consensuelle de l'ouvrage.
Le spectacle est longuement applaudi et les quatre solistes, visiblement émus, sont rappelés quatre fois.
Samedi soir ! Après le succès de ce jeudi, deuxième représentation du #Requiem de Verdi, à retrouver aussi sur France Musique. Toutes dernières places https://t.co/qnBTo5M2kF pic.twitter.com/P5OaLgmb3k
— Théâtre des Champs-Elysées (@TCEOPERA) 4 février 2022