1900 gravée en mélodies et duos par Estelle Béréau et Guilhem Terrail
Les courtes accroches figurant sur les photos du livret accompagnant le disque sont autant de pistes permettant d’entrevoir les liens entre les artistes et le parti pris d’interprétation de ces mélodies. « 1900 ou la rencontre entre des chanteurs amoureux, un pianiste épicurien et le piano familial » laisse ainsi supposer l’étroite connivence entre les musiciens lorsqu’ils se retrouvent à trois pour interpréter six duos de Charles-Marie Widor et celui de Pauline Viardot (Rêverie). « Le lyrisme quasiment opératique allant du fortissimo le plus déchirant au pianissimo le plus intime » augure d’une interprétation vivante et nuancée, loin du cliché de l’esthétique suave et précieuse pour ce répertoire.
Entre ces duos viennent s’insérer des morceaux pour voix seule (et toujours piano) permettant aux deux chanteurs de s’exprimer individuellement dans des mélodies de leur choix : Adieux d’Albert Roussel et les Ariettes oubliées de Claude Debussy pour la soprano Estelle Béréau, Le Temps des lilas d’Ernest Chausson ainsi que quatre mélodies d’Henri Duparc pour le contre-ténor Guilhem Terrail.
Si Chausson et Duparc ne destinaient pas leurs mélodies à la voix de contre-ténor, Guilhem Terrail s’en empare cependant de tout son engagement musical et de sa voix à l’ancrage lyrique. Il teinte délicatement Le Temps des Lilas d’une douce tristesse et, dans un lyrisme et une progression d’intensité saisissante, il déploie sa voix charnue et vibrante, passant sans problème l’écriture fournie du piano. Les mélodies de Duparc lui offrent une possibilité de colorations et d’expressions variées, notamment « Luxe calme et volupté » qu’il répète dans une demi teinte suspendue dans L’Invitation au voyage. Sa voix s’étire et épouse le phrasé ample de La Vie antérieure ménageant des montées en puissance dans une interprétation inspirée. Si les aigus sont parfois atteints avec une certaine tension, sa pensée musicale demeure intacte et captivante.
Estelle Béréau signe une interprétation précise et rigoureuse épousant les belles lignes des phrases de la mélodie de Roussel. Dans une volonté de lyrisme démonstratif, L’Extase langoureuse de Debussy est empreinte d’une grande activité, les forte étant fortissimo et la voix préservant un vibrato constant. Si le choix de tempi allants confère à la mélodie Il pleure dans mon cœur une langueur quelque peu animée, il fait cependant étinceler les Chevaux de bois et la soprano y déploie son énergie dans une impeccable diction et un son rutilant d’harmoniques.
Le plaisir de chanter ensemble est sensible dans les six duos de Widor, toutefois, un certain déséquilibre sonore est perceptible tant la voix d’Estelle Béréau prédomine. En effet, Guilhem Terrail interprète la partie de contralto (à l’origine ces duos sont destinés à deux voix féminines de soprano et contralto) qui le maintient dans le grave de sa tessiture. Même s’il recourt aisément aux résonances de poitrines, sa voix ne peut atteindre la brillance de sa partenaire. Cette brillance, la soprano la conforte dans des crescendi et des sons forte parfois abrupts et souvent accompagnés d’un battement vibratoire très audible. Ils se retrouvent néanmoins dans une écoute précise et attentive, intégrant le « piano orchestral, coloré et chantant » de Paul Montag. Ce dernier distille une palette sonore éblouissante de poète-pianiste. Les sonorités perlées et délicates font place au touché incisif et cependant dépourvu d’agressivité. L’amplitude est toujours accompagnée d’une précision de touché, préservant la limpidité du discours.
Cet album remontant dans le temps vers l’année 1900 a été l’occasion d’un concert en novembre dernier, puisse-t-il aussi inviter à un retour vers le futur avec de prochains autres concerts.