Un Instant Bel Canto capté à Liège avec Daniel Oren & Saioa Hernández
La Force du destin et ses coups claironnants, rapprochés, lancent les cordes allantes et sonnent le début du concert, invitant les téléspectateurs à prendre place devant leur écran. Musique face au Destin : l'opéra offre une fois encore une métaphore de la situation actuelle et une espérance pour l'avenir, avec ce concert et ce festival permettant aux projets lyriques liégeois de se poursuivre, gardant le lien entre les musiciens et avec le public, préparant son retour. Les coups du Destin servent ainsi à projeter l'auditeur vers la réouverture et à lancer le concert : ce court extrait est le générique de cet enregistrement (extrait du morceau complet interprété ensuite au cœur du programme), immédiatement suivi par l'Ouverture du concert avec l'Ouverture de Carmen, tout aussi clinquante en cuivres et percussions, lançant tout autant des cordes élancées et suaves.
L'Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège rappelle ainsi les qualités notamment forgées avec sa Directrice Musicale Speranza Scappucci depuis plusieurs saisons, encore rappelées dans La Traviata qui inaugurait la semaine dernière cette série de streaming, et à nouveau pour ce concert sous la baguette du célèbre chef Daniel Oren (qui dirigeait dans ce théâtre Le Trouvère en 2018 et aurait dû diriger en ce mois d'avril Les Lombards à la première croisade repris dans la mise en scène de feu Stefano Mazzonis di Pralafera). Fameux bel cantiste également, ce maestro obtient lui aussi avec beaucoup de contrastes l'énergie des accents et la précision des affects orchestraux, bondissant comme Speranza Scappucci (à se demander si c'est le podium de Liège qui contient des ressorts). Certains phrasés instrumentaux sont à la limite de presser, mais témoignent ainsi de la fougue musicale, du plaisir et de l'enthousiasme à continuer de se retrouver, à investir ce théâtre et les ondes du streaming à la rencontre du public. D'autant que l'Orchestre, distancié et séparé avec des parois de plexiglas, partage la scène avec l'intensité dramatique et vocale de la soprano Saioa Hernández.
La chanteuse déploie son expressivité dès la première note, et même dès la première parole car elle fait le choix risqué de commencer sa prestation par un mélodrame (celui de La Gioconda). Ce type de passage parlé sur un fond musical tombe souvent à plat dans les opéras au milieu du chant, mais il permet ici de lancer la prestation vocale avec un effet théâtral qui souligne la dimension dramaturgique même d'une version de concert. Cet effet est immédiatement confirmé et nourri tout au long du concert par le chant ample et large de Saioa Hernández. La voix se déploie avec les vastes lignes vocales et passions bouleversantes du répertoire choisi : celui marquant un point d'orgue du bel canto, allant de Verdi au vérisme (Tosca, Madame Butterfly, Manon Lescaut de Puccini, Andrea Chénier d'Umberto Giordano). Le timbre reste toujours riche et le vibrato intense malgré quelques élans vocaux un peu trop amples pour leur soutien initial et précision d'arrivée. Les vocalises sont parfois serrées ou ralenties, mais, dans les mouvements plus amples, la chanteuse montre l'amplitude de son ambitus, du grave nourri à l'aigu affiné.
Le Programme de ce Festival Un Instant d'Opéra continue notamment avec les concerts Mozart-Schubert-Tchaïkovski, Hamlet et le romantisme à la française, Così fan tutte, "Passionnément Mozart", "Johann Strauss : le père-le fils & l'esprit de la valse", entre autres, à suivre sur Ôlyrix.