The King and his Favourite à La Monnaie
The King and his Favourite présente la deuxième facette de la pièce autour de l’histoire tragique d’Élisabeth Tudor dont la première partie se jouait la veille avec The Queen and her Favourite : place donc à une réponse plus masculine, d'après Gaetano Donizetti et toujours sous la baguette de Francesco Lanzillotta dirigeant l’Orchestre Symphonique de la Monnaie avec un casting de choix.
Suite au report de l’ambitieuse production Bastarda que le public belge aurait dû apprécier en ce mois de mars, il semblait nécessaire de rebondir sur un sujet tout aussi pertinent et royal. Originellement, le projet portait sur l’œuvre de Donizetti rassemblant quatre opéras sur l’époque élisabéthaine (Elisabetta al castello di Kenilworth de 1829, Anna Bolena de 1830, Maria Stuarda de 1834 et Roberto Devereux de 1837), ici le sujet trouve des résonances avec des morceaux choisis issus La Favorite (1840), toujours de Donizetti.
La Monnaie peut décidément se targuer de maintenir le rythme culturel autour de ses productions de 2020/2021. Suite à un mois de février purement mozartien à entendre et voir en streaming, la Maison-mère continue à s’accommoder de ce nouveau média. Certes, la musique ne s’apprécie pas de la même manière derrière nos écrans de fumée et ne remplacera jamais l’expérience de l’opéra, mais un nouveau langage se développe, plus cinématographique et plus narratif pour cet opéra-concert, suivant la voix et le fil rouge d’une jeune fille découvrant l’Opéra. Unique public de toute cette pièce, la jeune Alexandra Herzog devient un témoin-clé de l’expérience opératique (et qui pourra se vanter d’avoir été la seule spectatrice d’une telle production). La pièce commence quand cette jeune âme pénètre les coulisses de La Monnaie, jusqu’à se retrouver nez à nez avec la phalange musicale au devant du parterre, tissant peu à peu des liens avec chaque chanteur, jusqu’à les enlacer et vivre sa meilleur vie de Favorite. Mi-réel mi-songe, l’opus vécu par la fillette tient du fantasme, vivant la musique et l’offrant à voir plus matérielle, plus touchante encore, suscitant l'envie face à cette expérience incroyable, d'autant plus lointaine, et grâce au jeu de la jeune fille et de ses grands yeux émotifs. Le streaming permet donc un instantané de la musique, tout en laissant imaginer la difficulté d'un tel montage rendant l'effet du direct.
La présentation de The Queen and her Favourite la veille surmontait déjà le défi d'une qualité musicale remarquée et d'un casting vocal à la pointe, grâce à la direction musicale de Francesco Lanzillotta qui, comme tous, a dû se heurter au distanciel pour la direction des chœurs de La Monnaie (dans un protocole covid proof). L’Orchestre Symphonique de la Monnaie est toutefois d'autant plus présent, même à l'écran, offrant une performance tant visuelle qu’auditive. La musique brille en effet sous la direction du chef italien, très bien entouré.
Pour le deuxième volet, Donizettien, le désormais grand nom Enea Scala reste primo tenore dans le rôle de Fernando et donne à entendre une qualité vocale très bel cantiste. Expressif, chromatique et très charismatique, le chanteur offre une performance maîtrisée.
Ines interprétée par la soprano Valentina Mastrangelo marque sa première venue à La Monnaie d’une voix tenue et d’une élégance distinguée. Les arias sonnent claires, vives et sont empruntes d’un traditionnel lyrisme bien italien. Élancée, volatile, la voix sans affèterie de la chanteuse répond fort bien avec la voix de Raffaella Lupinacci, plus riche et opulente. L’interprète de Leonora se dessine en effet d’une ligne très riche, ample et souple. La prosodie italienne prend tout son sens avec une telle précision.
Le baryton italien Vittorio Prato en Alfonso marque aussi par sa voix d’une belle profondeur et d’une indolence sensible, très humaine. Entre bel canto et chant baroque, l’interprète justifie très vite son impressionnant matériel vocal. Luca Tittoto en Baldassare creuse sa voix d’une rigueur et très belle profondeur. Les graves abyssaux de la basse sonnent redoutables.
La Monnaie s’évertue ainsi à proposer des instants précieux de culture chez soi, à visionner en 1h30 pour 10€, et ce jusqu’au 19 mars 2021.