The Queen and her favourite à La Monnaie : Ladies First
Suite au report de l’ambitieuse production Bastarda que le public belge aurait dû apprécier en ce mois de mars, il semblait nécessaire de rebondir sur un sujet tout aussi pertinent et royal. Originellement, l’ambitieux projet portait sur l’œuvre de Donizetti qui rassemblait les quatre opéra de l’époque élisabéthaine : Elisabetta al castello di Kenilworth (1829), Anna Bolena (1830), Maria Stuarda (1834) et Roberto Devereux (1837), mais l’inventive Maison-mère réussit à détourner le chagrin de son public à l’aide d’un habile opéra-concert Rossinien (chanté en italien, avec des textes joués en anglais sous-titré).
Afin de raisonner avec le premier projet Bastarda, l’opéra-concert centre en effet son attention sur l'opus de Gioachino Rossini Elisabetta, regina d’Inghilterra (1815) qui avait été présenté au Teatro San Carlo à Naples, profilant une histoire tragique autour d’Elizabeth Tudor. Présentée en deux temps, la nouvelle production de La Monnaie se savoure autour de deux titres : The Queen and her favourite (le 11 mars) puis The King and his favourite (à partir du 12 mars) sous la toute première direction musicale de Francesco Lanzillotta à La Monnaie accompagné des chœurs et orchestre symphonique de la maison-mère.
But Ladies first
La Monnaie de Bruxelles fait une fois encore preuve d’une très grande adaptabilité et résilience face au musellement du secteur culturel. Certes, la musique ne doit pas être tue, et si elle ne peut être vue sur place, l’option streaming se fraye peu à peu un chemin dans les habitudes, offrant à chacun un peu des velours rouges chez soi. Plus cinématographique, l’opéra-concert s’hybride avec la possibilité d’y glisser de nouvelles images, plus proches des interprètes, plus narratives et plus interprétatives. Ici, l’opus débute et tire sur un petit fil rouge qu’est celui de Nehir Hasret qui prête son jeu à celui d’un témoin-clé. Unique public de toute cette production, la jeune actrice prends le temps de raconter les enjeux narratifs de chaque extrait musical et de faire habilement le lien avec les "téléspectateurs". L'œuvre réduite à ses arias essentiels s’en trouve alors modifiée, cependant la direction musicale réussit le pari de diriger les solistes vocaux et instrumentaux (qui se répondent dans leur éloquente précision), mais aussi et à distance les chœurs, afin de limiter les contacts : une osmose musicale malgré toutes les distances et barrières qui les maintiennent à distances, entre eux et avec leur public.
Servies par un casting de choix, les contraintes techniques semblent devenir de nouveaux prétextes à la création. La Géorgienne Salome Jicia trouve en Elisabetta l'occasion de briller d’une voix déployée, très riche et claire. Incisive, expressive, la soprano marque son rôle d’une noble retenue et d’une sensualité de voix et de jeu remarquée. L’italien Enea Scala en Norfolk fait briller son talent de voix belcantiste. Le primo tenore réussit la prouesse d’une expressivité constante alliée avec la réserve et fierté bien Rossinienne.
Sergey Romanovsky dans le rôle de Leicester s’offre d’une voix retenue et digne, indolente et profonde, tout en s’exprimant avec une très belle vélocité. Lenneke Ruiten, que le public avait pu voir dans la toute dernière production de La Monnaie Der Schauspieldirektor, prouve, dans le rôle de Matilde et encore une fois, son talent et sa précision avec une voix au naturel désarmant. Des aigus les plus fins aux graves profonds, la chanteuse affirme une maîtrise absolue avec une apparente facilité.
Une fois encore La Monnaie s’évertue, par sa force de renouvellement, à faire briller quelques notes de culture à travers les écrans, toujours à des tarifs abordables : ce spectacle est disponible jusqu’au 18 mars et nous rendrons compte dès demain de la seconde partie, The King and his favourite.