Les 100 Printemps de Piazzolla à Radio France
Le programme concocté par le chef Leonardo García Alarcón est un voyage en forme de renaissance, à l’image de celui qu’a fait Astor Piazzolla, par ses parents, d’Italie en Argentine, puis plus tard comme musicien, vers le vieux continent (Ôlyrix rendra d’ailleurs compte des festivités marquant le Centenaire de Piazzolla à Paris et à Buenos Aires). Ce voyage du souffle, du vent de l’accordéon/bandonéon au chant de Mariana Flores, commence aux origines spirituelles de la musique de Piazzolla, avec son mentor et prodige des nappes mouvementées, Nadia Boulanger.
Éric Le Sage avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France interprète ici la Fantaisie variée pour piano et orchestre (1912), montrant toute la subtilité d’un jeu délicat bien que toujours précis. Cette introduction musicale en forme de prélude mémoriel mène au cœur de la soirée hommage au compositeur argentin. Aconcagua, concerto pour bandonéon et orchestre créé en 1979, année de la mort de Nadia Boulanger, fait le lien avec cet autre hommage, celui de Piazzolla, l’élève, à cette grande compositrice. Richard Galliano interprète le concerto avec une grande constance, mais laisse davantage libre cours à sa virtuosité dans le fameux thème de Libertango, à l’accordéon, rendant ici ainsi lui-même hommage à l’un des compositeurs les plus marquants de sa carrière.
William Sabatier et Lysandre Donoso le relaient au bandonéon pour Sinfonía Buenos Aires, retour inspiré et fantasmé en Argentine. Cette partition tout en finesse met particulièrement en valeur les lignes solistes de l’orchestre, comme celles de la violoniste Ji-Yoon Park, parfaitement dans le style lors de ses solos, ou de manière plus générale des vents, notamment du clarinettiste Nicolas Baldeyrou. La grande présence du harpiste Nicolas Tulliez est également remarquée à travers la soirée, lui qui noue une véritable relation musicale et esthétique avec la musique de Piazzolla, en particulier dans Aconcagua.
La soirée se conclut en apothéose autour de quatre chansons, célébrant l’âme loca de ceux qui Siempre se vuelve[n] a Buenos Aires (folle nostalgie). Mariana Flores est très remarquée dans son interprétation d’une Maria fantasque et puissante. Mi-femme mi-déesse à la Almodovar, elle transporte l’auditoire de quelques invités professionnels et les caméras dans cet univers si particulier du tango argentin, empruntant à une gestuelle sensuelle et farouche tout à la fois, dans un pas de deux avec le chef Leonardo García Alarcón, qui lui-même tente quelques pas lors de la Sinfonía. Mariana Flores change alors de partenaire, se laissant désirer entre William Sabatier, particulièrement brillant au bandonéon dans ces derniers morceaux, et Éric Le Sage, mais aussi, d’une certaine façon, par l’orchestre tout entier, qui visiblement s’amuse, comme le public, à se laisser charmer. Mais le plus surprenant chez Mariana Flores tient dans sa voix. La chanteuse issue de la musique baroque se reconnaît ici à un jeu musical sobre et peu timbré, mais extrêmement précis. Les aigus sont ainsi toujours très justes, avec un son remarquablement clair, comme dans Balada para mi muerte, marquée par une diction vive et piquante. Argentine elle aussi, Mariana Flores maîtrise la langue de Piazzolla, et son vibrato léger tout en subtilité se mêle avec délicatesse aux « r » roulés de l’espagnol. Une grande aisance de la soprano qui se retrouve aussi dans les passages parlés-chantés (recitados), permettant de (re)découvrir tout le tempérament de l’Argentine géniale de Piazzolla :
« Locos al fin los dos, locos, locos Loco él y loca yo », « Fous tous deux enfin, fous, fous, Lui, fou et moi, folle »