Viardot par Extrémo, de mezzo à mezzo aux bords de l'eau du Palazzetto
"Peu de figures féminines comptèrent autant que celle de Pauline Viardot dans la France romantique" annonce d'emblée le programme de ce concert rédigé et concocté par les équipes du Palazzetto Bru Zane, qui permettent une nouvelle fois de redécouvrir un répertoire oublié ou pour le moins négligé. Le Centre de musique romantique française basé à Venise (où ce concert s'est tenu à huis clos) agit notamment pour (re)mettre à l'honneur les figures des compositrices et leurs œuvres, comme détaillé dans notre grand format : "Au Palazzetto Bru Zane, la résurrection musicale se conjugue aussi au féminin." Ce travail trouve bien entendu une résonance particulière en ces temps de pandémie qui atteint la culture en tous genres, et en ce jour du 8 mars (Journée des Droits des femmes), mais il ne s'agit que d'une occasion parmi toutes les autres menées tout au long de l'année d'honorer comme elles le méritent les compositrices : pour des raisons purement esthétiques.
Les Douze Mélodies sur des poésies russes témoignent en effet du talent de la compositrice Pauline Viardot et de son métier. La musique épouse les caractères infiniment riches et variés de la tradition littéraire slave, traversant (le poème) L’Orage et les chansons géorgiennes de Pouchkine, la Berceuse cosaque de Mikhaïl Lermontov, Les Ombres de minuit d’Afanassi Fe. Leurs climats paradoxaux, confortant la nostalgie populaire de rythmes enjoués mélancoliques sont précis et nourris sous les doigts du pianiste. Étienne Manchon se met ainsi pleinement au service de ces dames, Extrémo et Viardot de ces deux mezzos (car la compositrice Pauline Viardot était aussi une incontournable chanteuse mezzo, pour des opéras de Meyerbeer, Saint-Saëns ou encore Gounod).
Aude Extrémo met au service de ces paysages sonores l'ampleur de sa voix et des moyens expressifs qu'elle déploie depuis plusieurs saisons et régulièrement dans des répertoires très variés sur les plus grandes scènes lyriques (pour Carmen et Amnéris, Wagner et Strauss, Les Troyens aussi bien qu'Offenbach). La grande et noble articulation répond au déploiement sonore épais et large, chaleureux et irisé, avec allure et une puissance de projection captée dans son ampleur et son détail par la réalisation sonore. Les dimensions lyriques s'expliquent, pour l'interprète par ce parcours vocal, et pour la compositrice par le contexte social que rappelle le programme et les recherches du Palazzetto Bru Zane (les femmes compositrices étaient contraintes à l'intimité de la musique de salon mais d'où débordait donc tout le lyrisme de leur art). Ce lyrisme se poursuit et se déploie, creuse encore sa profondeur et sa richesse en conservant les couleurs slaves dans le répertoire de mélodies françaises, en vieux français, comme en français romantique : chantant les passions nobles aussi bien que piquantes, traditionnelles hexagonales aussi bien qu'espagnoles.
Enfin, une fois n'est pas coutume, les fameux compositeurs masculins sont relégués à la fin du programme, et pour chanter la puissance des femmes : l'amour sororal de Marie-Magdeleine (Massenet), Orphée de Gluck désemparé d'avoir perdu Eurydice, le modèle maternel offert par Fidès pour Le Prophète de Meyerbeer, le grand Air de Dalila (Saint-Saëns).