20 femmes (parmi d'autres) qui font l’opéra en France
20 portraits au féminin de celles qui font et sont l’art lyrique en France aujourd’hui : directrice d’opéra, de festival, d’académie, cheffe de chœur ou d'orchestre, metteuse en scène, scénographe, compositrice, interprète et même Ministre.
20 parcours et engagements remarquables ou au moins remarqués, parmi tant d’autres et pour en encourager encore et toujours davantage :
Caroline Sonrier, Directrice de l’Opéra de Lille depuis 2003, depuis la réouverture de l’établissement lorsque la ville est désignée capitale européenne de la Culture, 80 ans après l’inauguration du bâtiment. Les premiers spectacles de son mandat abordent directement et questionnent précisément les violences faites aux femmes : Don Giovanni de Mozart et Madame Butterfly de Puccini, et aussi dans cet esprit et marquant les esprits, la Carmen de Stéphanie d’Oustrac en 2010. L’Opéra de Lille est aussi un lieu de compagnonnages artistiques et politiques, de femmes talentueuses et influentes réunies autour de Caroline Sonrier, avec le Concert d’Astrée dirigé par Emmanuelle Haïm, le tout en lien de confiance avec Martine Aubry, maire de Lille depuis 2001.
Caroline Sonrier qui reste mobilisée pour la situation de la culture en temps de crise, y compris la crise actuelle, demandant récemment sur France Musique “Que reste-t-il alors de la mission de service public ?” et y répondant : une mission qui n'est “pas considérée comme essentielle.” La Directrice qui, pour y répondre, a pris en main une initiative parmi et avec tous les opéras de France : la Mission nationale qui lui a été confiée par la Ministre de la Culture Roselyne Bachelot, sur “la politique de l’art lyrique en France.”
Les objectifs sont de “dresser un état des lieux de l’art lyrique en France, en examinant l’offre artistique existante, les différents modèles économiques, ainsi que les politiques de démocratisation poursuivies par les théâtres lyriques dans les territoires”, dessinant un cadre de référence avec des propositions d’ici l’été.
Caroline Sonrier a également reçu le “Prix de la Femme d’influence 2018” (remis par Génération femmes d’influences).
Valérie Chevalier, Directrice Générale de l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie depuis 2013 est la première femme nommée à la tête d’un Opéra National.
Sa carrière est d’abord celle d’une artiste, interprète (Premier Prix de Chant à Rouen, lauréate de l’École d’Art Lyrique de l’Opéra de Paris) puis en management culturel aux USA. Elle fonde une agence artistique en 2000, devient en 2004 Directrice de l'administration artistique à l’Opéra de Nancy, également responsable de la gestion interne de l’ensemble des équipes du théâtre, du répertoire, des saisons, distributions, coproductions.
Dans une interview pour L'Étudiant, elle revient sur les carcans genrés qu'elle a constatés dès son plus jeune âge : "J’étais grande pour mon âge, donc on me faisait jouer le sapin, l’arbre, le garçon… alors que j’aurais adoré faire la princesse !". La résolution viendra avec sa maîtresse "Mme Claude, une Antillaise très chic, calme et qui nous considérait comme des adultes".
De son mandat à Montpellier, durant lequel elle se félicite d’avoir apuré les comptes alors que le climat était au conflit social, la Directrice cite notamment le spectacle La Soupe Pop (mise en scène par Marie-Ève Signeyrole en résidence) comme une preuve de liberté face à ce milieu “hyper macho”.
Bien entendu, qu’hommage soit également rendu ici à Eva Kleinitz dont le mandat à la direction de l’Opéra National du Rhin commencé en 2017 a été interrompu par la maladie en 2019 mais dont la mémoire et les actions ont certainement ouvert aussi la voie pour de futures directrices.
Ching-Lien Wu, première femme à être nommée Cheffe des Chœurs dans l’histoire de l’Opéra de Paris (et qui nous a accordé une interview à l'occasion de cette prise de poste), occupait ces fonctions à l’Opéra national des Pays-Bas depuis 2014. Avant Amsterdam, Ching-Lien Wu dirigeait les Chœurs au Grand Théâtre de Genève (entre 2001 et 2014) et à l’Opéra National du Rhin (entre 1991 et 2001) et fut même avant cela cheffe de chant à l’Opéra de Nantes en 1989, cheffe des chœurs assistante au Théâtre du Capitole à Toulouse en 1990.
La musicienne diplômée à Taiwan avait poursuivi ses études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon (Premier Prix de direction de chœur en 1987). Elle a également travaillé en stages de direction d'orchestre auprès de Pierre Boulez, comme assistante de Norbert Balatsch au Festival de Bayreuth et a signé une mise en scène du Barbier de Séville à Taïpei.
Myriam Mazouzi, Directrice de l’Académie de l’Opéra de Paris depuis la (re)création de cette école-passerelle professionnalisante de transmission, formation et création (héritière de l’Atelier Lyrique). Loin d’avoir été simplement recrutée par le Directeur de l’Opéra national de Paris, c’est au contraire Myriam Mazouzi qui a conseillé alors Stéphane Lissner (mandat 2014-2020) dans sa prise de fonctions, lui demandant ensuite la Direction de l’Académie (comme elle nous le raconte en détaillant son projet et ses actions en interview).
Sophie Joyce Paterson, Directrice du Casting de l'Opéra national de Paris depuis 2020, après avoir été consultante casting pour la saison 2019/2020. La Britannique a fait 10 ans de carrière à l'English National Opera, gravissant les échelons entre 2006 et 2016 : assistante manager, manager de casting puis Directrice de Casting. Elle traverse ensuite l'Atlantique comme Directrice du Programme de Développement des jeunes artistes au Metropolitan Opera House de New York.
Nathalie Rappaport a consacré plus d'un quart de siècle au Festival de Saint-Denis : en tant qu'Administratrice (1995-2001), Déléguée générale puis Directrice-adjointe (2001-2011), enfin Directrice jusqu'à aujourd'hui.
La Directrice a notamment orchestré récemment le demi-siècle du Festival de Saint-Denis, un anniversaire célébré sur trois années, l’occasion de rappeler que cet événement a toujours accueilli les plus grands interprètes au monde, dans des lieux historiques mais aussi dans un rayonnement à travers le territoire et les arts. Les concerts ont notamment lieu dans la Basilique dont on oublie parfois qu’elle est celle des Rois et des Reines de France, ainsi que dans la maison d'éducation de la Légion d'honneur (pour filles car les garçons allaient alors en école militaire). Autant d'occasions de mettre à l’honneur les musiciennes, artistes et compositrices depuis Hildegarde de Bingen (même jouée par le trompettiste Ibrahim Maalouf) jusqu’à Kaija Saariaho. Au micro de France Musique, la Directrice se réjouit de la chance d’avoir été nommée alors qu'arrivait une nouvelle génération d'artistes comme Marianne Crebassa, Julie Fuchs, Lea Desandre.
Émilie Delorme, Directrice du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris depuis le 1ᵉʳ janvier 2020.
Retrouvez notre article à rayonnement mondial à l’occasion de cette nomination : Paris, Londres, Vienne et New York : diverses-cités musicales
Les deux Conservatoires nationaux de la capitale sont ainsi dirigés par des femmes, puisque Claire Lasne-Darcueil est à la tête du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique (CNSAD) depuis 2013 (Directrice que la journaliste du Figaro Armelle Héliot décrivait ainsi à sa nomination en 2013 : “Claire Lasne-Darcueil, une femme douce au Conservatoire”).
Aline Sam-Giao, Directrice générale de l'Auditorium-Orchestre National de Lyon, vice-présidente des Forces Musicales et de l’Association Française des Orchestres accueillait de fait la Cérémonie des Victoires de la Musique Classique 2021
Kaija Saariaho peut légitimement être considérée comme la compositrice (et même tout simplement -et plus logiquement- comme la personne composant) la plus importante de cette génération. Les opéras de Kaija Saariaho font partie de cette catégorie rarissime d'œuvres contemporaines reprises et dont chacune est un événement attendu, notamment le dernier opus lyrique qui pourrait être son dernier.
La lyricographie de Kaija Saariaho reflète des préoccupations féministes et humanistes (un pléonasme) : L’Amour de loin, Adriana Mater, La Passion de Simone, Émilie, Only the Sound remains et donc cet été à Aix-en-Provence, Innocence.
Marta Gardolińska, cheffe d'orchestre polonaise, a été nommée Directrice musicale à l’Opéra de Nancy à compter de la saison 2021-2022 pour trois années, suite à ses débuts remarqués dans la maison nationale lorraine avec la création française de George le rêveur (Zemlinsky). L’exception qu’incarne la Directrice musicale parmi les chefs d’orchestre rappelle aussi la situation chez nos voisins belges et la figure d’exception que représente Speranza Scappucci, Directrice Musicale de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, au rôle d’autant plus essentiel en cette période marquée par le décès du Directeur artistique et général Stefano Mazzonis di Pralafera.
En France, la nomination de Marta Gardolińska résonne avec celle de Debora Waldman l’été dernier, première cheffe à devenir Directrice musicale d’une formation aussi réputée que celle de l’Orchestre National Avignon-Provence. Les deux femmes entrent aussi en résonance avec les carrières de Martina Batič et Sofi Jeannin à Radio France (et aux BBC Proms) ou encore Zahia Ziouani (Directrice de l’Orchestre Divertimento, du Conservatoire de Stains, associée à la direction artistique et pédagogique du projet DEMOS).
Claire Gibault qui prend à bras le corps la baguette de cheffe et la défense de la cause. Elle dirige l’Orchestre de chambre de Chambéry, devient assistante de John Eliot Gardiner à l'Opéra national de Lyon prend la baguette des plus prestigieux orchestres (La Scala, Philharmonique de Berlin), elle crée le Paris Mozart Orchestra, est élue députée européenne, membre de la commission de la Culture et de l'Éducation ainsi que de la commission des Droits de la Femme et de l'Égalité des Genres.
Le nouveau projet de Claire Gibault se nomme “La Maestra”, Concours de cheffes d’orchestre dont la première édition a été remportée par Rebecca Tong.
Laurence Equilbey ayant dirigé des formations chorales et symphoniques parmi les plus prestigieuses, fondatrice et Directrice musicale d’Insula Orchestra et d’accentus est indissociable du dernier grand nouveau lieu musical fondé en France : La Seine Musicale.
Karine Deshayes, mezzo-soprano demandée sur les plus grandes scènes lyriques internationales modèle pour de nombreuses artistes, généreuse marraine (du Concours Voix des Outre-Mer, ainsi que pour la dernière édition de Tous à l’Opéra) et multi-lauréate des Victoires de la musique classique.
Chloé Briot, soprano qui aura permis de (re)questionner la manière dont les femmes sont traitées sur les plateaux. Elle qui n’aura cessé de sensibiliser à cette question et qui nous confiait dès le début de l’année 2018 en interview : “Je suis féministe parce que, quand on est une femme, on est féministe. Féministe ne veut pas dire avoir la haine des hommes. Chez les femmes de ma génération, c’est devenu un gros mot. J’observe simplement chez des chefs d’orchestre, des metteurs en scène ou des directeurs artistiques des comportements qui sont à la limite du sexisme : j’essaye toujours de les recadrer avec humour, avec légèreté [...]. Je remarque toutefois que je recale assez souvent.” Chloé Briot dont la voix permet de suivre et d’apprécier sa carrière professionnelle, encore récemment en récital duo avec Sandrine Piau, dans la Soirée de Gala d’UNISSON, avant cela pour La Flûte enchantée à Bastille, Fauteuils d’orchestre avec Anne Sinclair, les créations Pinocchio et La Légende du Roi Dragon, Le Roi Carotte ou encore avec deux collègues aux Victoires de la Musique Classique.
Julie Fuchs aura obtenu réparation devant les tribunaux, refusant de se taire et de se laisser remplacer pour un rôle au motif qu’elle était enceinte. La soprano, assumant pleinement et ouvertement de mener sa carrière lyrique internationale et son rôle de mère, est aussi une ambassadrice de l'opéra auprès d'un public large, notamment sur les réseaux sociaux.
Mariame Clément, metteuse en scène travaillant à travers la France et le monde, lançait récemment une grande trilogie des opéras tudoriens de Donizetti à Genève et signera -pour sa première mise en scène à Bastille- une entrée au répertoire de cette maison de la Cendrillon de Massenet.
Malgorzata Szczęśniak également côté mise en scène (un domaine dans lequel là aussi beaucoup et trop peu de créatrices auraient pu être citées et devraient avoir droit de cité) offre un exemple intéressant. La femme trop souvent oubliée derrière le travail de Warlikowski est “co-créatrice de son langage poétique au théâtre et à l’opéra”. L’occasion de valoriser le travail de scénographie souvent mis dans l’ombre de la mise en scène.
Roselyne Bachelot, Ministre de la Culture (12 des 13 premiers Ministre de la Culture de la Vᵉ République étaient des hommes, 5 des 6 dernières étaient des femmes). Femme nommée à la barre en ces temps de tempête sanitaire et culturelle, et qui sera jugée pour ses résultats.
Beaucoup d’autres artistes et responsables pourraient être citées et le seront comme elles le sont si régulièrement sur nos colonnes : pour leur travail et leur talent (et non pas pour leur genre).
Retrouvez également notre article sur le Rapport de la SACD concernant la (faible) place des femmes dans la culture en 2016 : constat franc et perspectives qui n’ont pas fondamentalement changé.
De quoi prôner, souhaiter et agir pour une plus grande mixité dans le monde (de l’opéra entre autres), la mixité étant une des formes de la diversité qu’il s’agit de défendre et encourager dans cet art qui par définition est multiple et ouvert.