Amour Amor baroques à l'Opéra de Rouen
Un voyage traversant les nuances et passions des amours baroques, des XVIIe et XVIIIe siècles, du compositeur officiel de la Cour française venu d'Italie et re-composant en italien (Lully), du grand répertoire français instrumental (Jean-Marie Leclair) ou vocal (Michel Pignolet de Montéclair lui aussi dans une rare œuvre en italien), enfin du génie allemand voyageant en Italie (Haendel).
Respectivement dans l'ordre du programme, leurs œuvres déploient les "Amours déguisés" d'un Ballet royal avec le récit d'Armide pleurant Rinaldo, les Amours Récréatives avec Ouverture, Chaconne et Tambourins, les Tragiques Amours Mortelles de Lucrèce, l'amour fortuné et délicieux d'une Nuit paisible et tranquille. Autant d'amours riches, variées et tellement nécessaires en cette période (comme ces concerts en ligne maintenant la musique en vie, ainsi que les artistes).
Ces différents sentiments amoureux semblent d'abord diverger d'un morceau à l'autre. Toutefois et plus précisément, les différents penchants sont présents dans chacune de ces œuvres, l'amour heureux émergeant de la tristesse ou réciproquement, les penchants et inclinaisons étant toujours nuancés par leur sentiment complémentaire au détour d'une modulation ou de l'accompagnement par rapport à la voix. Ces compositions en couleurs complémentaires trouvent leur traduction dans le couple musical (visiblement enamouré grâce à la musique) formé par Les Talens Lyriques de Christophe Rousset et la mezzo-soprano Ambroisine Bré.
Le mariage musical est d'autant plus touchant qu'il était longtemps attendu et qu'il est concentré en petit comité instrumental. Il est d'autant plus uni que le chef dirige en jouant du clavecin. Il est d'autant plus intense que la noblesse instrumentale (non moins émouvante) sert d'écrin aux intenses déploiements vocaux. La richesse des passions est portée avec maîtrise et amplitude, dans les tenues et virtuosités des cordes, dans les riches appuis et l'ancrage des cordes vocales. Les phrasés s'intensifient et s'animent selon les registres émotionnels pour l'ensemble des musiciens et selon les registres vocaux pour Ambroisine Bré. Son médium et son grave posent l'intensité des drames, ses fulgurances vers l'aigu délaissent la pure beauté du son pour illustrer par le risque vocal, celui de l'amante et du drame. La chanteuse marque ainsi d'une manière d'autant plus claire les passions éplorées et endolories (comme elle le faisait notamment pour Les Larmes de la Vierge noire au Festival de La Chaise-Dieu l'année dernière), mais avec cette fois aussi des couleurs claires (sur l'appui tranquille de l'accompagnement) qui renforcent la diversité des visages amoureux par les contrastes. Les grands crescendi se déploient constamment et avec constance, dans l'émotion des dialogues : entre les œuvres au programme, à l'intérieur de chacune (comme entre les interprètes et au cœur de chacun).
Autant de couleurs et de visages de l'amour que la qualité de la captation audio et visuelle permet d'apprécier dans les détails du jeu et (d'entrer) dans les détails du son. Amour Amor est ainsi parcouru en une heure, par amour de l'art et dans ses règles, à travers les élans des sentiments jusqu'aux saluts silencieux dans cette salle vide. De quoi entretenir la flamme amoureuse.
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