Sonya Yoncheva et la Cappella Mediterranea à Salzbourg
C’est à un récital intitulé “Renaissance” qu’invitent Sonya Yoncheva et la Cappella Mediterranea dirigée par Leonardo García Alarcón (retransmis comme tous les temps forts de ce Festival Salzbourg 2020) avec des pièces écrites pendant la Renaissance, mais pas seulement : le spectacle mêle les pays (Italie, Angleterre, Espagne), les époques mais aussi les genres puisque alternent tour à tour des extraits d’opéra (la mort de Didon dans Didon et Enée de Purcell par exemple) et des mélodies (de John Dowland, José Marín ou encore Orlando Gibbons). Le seul fil directeur apparent de ce programme semble être celui du goût des interprètes. Après la période de silence imposée par le Covid-19, ce plaisir de se retrouver pour faire de la musique est manifeste tout au long du spectacle que ce soit dans l’amicale rivalité virtuose entre les instruments ou bien dans l’écoute entre l’orchestre et la soprane. La scénographie du récital donne également le sentiment de retrouvailles : la lumière est faible mais chaleureuse et toute la salle de la Haus für Mozart est plongée dans le noir. L’orchestre, composé d’une dizaine de musicien, est installé en arc de cercle autour de la chanteuse, en robe blanche, assise, un pupitre devant elle, s’intégrant à l’ensemble dans l’esprit d’un concert de musique de chambre.
Si Sonya Yoncheva est passée à un répertoire bien plus lourd vocalement que celui de ses débuts, elle revient régulièrement à cette musique ancienne en y apportant certains éléments du répertoire du XIXe siècle. La voix est sonore, portée par un souffle généreux, très à son aise dans le bas de la tessiture mais parfois un peu tendue dans le haut medium où le timbre perd de sa rondeur et peut devenir un peu plus aigre. La plupart pièces choisies cependant sont des airs qui ne misent pas sur la virtuosité mais sur de longues phrases amoureuses ou pleines de douleur qui conviennent à la chanteuse, celle-ci privilégiant parfois la ligne à une déclamation plus franche du texte. Une atmosphère émouvante se dégage pourtant de tout le spectacle, de cette voix vibrante, comme si l’objectif principal était de communiquer sa propre émotion musicale, délaissant un peu l’incarnation des personnages dans les extraits d’opéra. À cet égard, la pièce “Zableiano mi agunce”, une mélodie anonyme bulgare, constitue sans doute l’acmé de la soirée : la chanteuse prête son souffle aux mélismes hypnotisants de la musique osant monter son registre de poitrine jusque dans le milieu de la tessiture (ce qui permet de donner une force et une noirceur particulière à certains passages mais ce qui est peu courant à l’opéra). Après un silence, le public applaudit chaleureusement ce moment et la chanteuse visiblement émue sort un moment de scène laissant la Cappella Mediterranea relancer le spectacle.
L’orchestre se montre au niveau de cet investissement. C’est lui qui apporte la virtuosité à la soirée et le programme choisi permet à chaque musicien d’avoir un moment privilégié pour s’exprimer. Les instrumentistes sont également capables de s’adapter à tous les styles, d’utiliser leur instrument pour tout exprimer : Leonardo García Alarcón est l’exemple de cette adaptabilité, lui qui joue tour à tour (voire simultanément) de l’orgue et du clavecin, tout en dirigeant le mouvement de quelques gestes. Les arrangements de Quito Gato, aussi théorbiste, permettent cette souplesse à l’ensemble : l’orchestre se fait tour à tour brillant pour des danses enlevées mais aussi poétique et généreux quand il est seulement un continuo.
La soirée se finit sur la mélodie vive et enlevée “No hay que decirle el primor” où Sonya Yoncheva esquisse quelques pas de danses pour finir ces retrouvailles dans la joie. Il y a là comme le souhait que la vie musicale renaisse sous le signe d’un amour de la musique simple et sincère.