Wonderful Wonderful Town de Bernstein gravé à Toulon
Padapadam Pam ! L'enregistrement commence d'emblée sur une cadence enlevée et maîtrisée. L'occasion pour la réalisation vidéo signée Andy Sommer pour BelAir Classiques de montrer à l'écran le vaste panel des pupitres, et pour l'Orchestre de l’Opéra de Toulon de montrer son goût et son adéquation à ce répertoire, sous la baguette de Larry Blank. Il s'agit pourtant d'une création française (la première dans notre pays) pour Wonderful Town (1953) mais la phalange varoise convoque sa connaissance du répertoire léger et la tradition de l'opérette méditerranéenne pour déployer ses bois sirupeux, la fanfare de ses percussions, cuivres ronflants ou grinçants à dessein. Les nombreux saxophones font la liaison entre les pupitres et les styles (orchestre symphonique et jazzy) : Bernstein a choisi aussi pour cela cet instrument inventé pour être un bois avec la puissance d'un cuivre.
La mise en scène d'Olivier Bénézech tisse également des passerelles entre les lieux et les époques. Les pancartes et décors suivent un texte modernisé ("Not my president" parmi d'autres têtes de Donald Trump avec sa casquette rouge ou à l'inverse Michelle Obama en couverture de magazine). La mise en scène prouve aussi qu'elle connait les classiques de ce répertoire yankee (notamment avec les mots formant OHIO écrits en gros, qui indiquent l'origine des deux héroïnes (mais fait aussi une référence directe à OKLAHOMA OK! un pilier du répertoire, le premier musical des maîtres originels Rodgers & Hammerstein créé en 1943). Si les paroles jouées comme chantées sont conservées dans leur langue américaine d'origine, les sous-titres sont localisés (les références au baseball deviennent ainsi des explications liées au football européen).
À l'image de cette histoire sarcastique dépeignant l'envers du rêve américain, les costumes bariolés des touristes avec leurs perches à selfies alternent avec les tenues de cuir ou de football US et les Village People sont tous là. Fort heureusement, l'ensemble est emporté par un rythme scénographique (Luc Londiveau) et chorégraphique (Johan Nus) à l'image de la partition. Les îlots de décors mobiles permettant de traverser New York, depuis les intérieurs chics jusqu'aux sombres ruelles, de franchir les mondes intellectuels et laborieux, passant d'un motel crasseux à un ballet de businessmen en prenant le métro ou des ruelles taguées typiques, également dynamisées et dépeintes par les lumières de Marc-Antoine Vellutini et des projections vidéos signées Gilles Papain.
Si Wonderful Town n'avait pas encore été produit dans l'Hexagone, ce pur produit de Broadway signé Leonard Bernstein en 1953 n'est pourtant pas dépourvu de la satire sociale de son Candide (1956), des ambiances urbaines de West Side Story (1957) et de chansons mémorables. 100 Easy Ways To Lose A Man entonné par la grande sœur, Ruth Sherwood (incarnée ici par Jasmine Roy) est le sommet libre et impétueux du parcours de cette femme qui veut réussir dans l'édition. Le chant est comme le caractère, bien sur terre. L'air endiablé du conga lui permet en outre de montrer son endurance.
Sa sœur cadette, la décolorée Eileen Sherwood (Rafaëlle Cohen) vise le strass et les paillettes, l'occasion d'une mise en abyme puisqu'elle danse sur scène et passe des castings pour participer à une comédie musicale. Elle exprime à l'écran le charisme séduisant d'un personnage qui, même en prison, transforme sa cellule en un hôtel privé avec les policiers à son service (agents à l'accent et au chant typiquement irlandais, nombre d'entre eux entrant dans cette carrière à leur arrivée sur le nouveau continent).
Dans leurs aventures, les deux héroïnes rencontrent et réunissent aussi bien l'épicier Frank Lippencott (chanté et joué avec une gentille candeur par Sinan Bertrand) qui passe son temps à donner le prix des banana split, l'éditeur de journal Chick Clark (charmant Julien Salvia qui compte aussi à son répertoire le Prince de Raiponce dans une adaptation qu'il a lui-même composée), l'éditeur de magazine Bob Baker qui sera le prince charmant de Ruth (Maxime de Toledo s'appuie sur des études théâtrales et musicales, de part et d'autre de l'Atlantique, lui qui interprète également Verdi).
Entre les numéros chantés, les voix amplifiées enregistrées avec netteté permettent d'apprécier une remarquable palette d'accents américains, renforçant l'impression de melting-pot. Heureusement car, après un départ en fanfare empli de musique et de chansons, les passages parlés se font de plus en plus fréquents et longs. La musique entrecoupée de dialogues devient dialogues entrecoupés de musique.
Mais tout est bien qui finit bien, la musique reprend ses droits et sa prééminence pour mener jusqu'au grand final justement intitulé : It's Love!