La majesté des motets de Lalande enregistrés à la Chapelle du Roi Soleil
Comme ses prédécesseurs, le Roi Très-Chrétien Louis XIV avait bien compris l’importance politique de sa foi, lui permettant d’asseoir son pouvoir tant sur le plan national qu'international. L’office royal quotidien était un temps important pour la cour, où le souverain affirme sa reconnaissance du pouvoir spirituel du Pape, par les rites qu’il prescrit, tout en se montrant dans sa propre majesté divine. Après un important concours organisé en 1683, Louis XIV choisit quatre sous-maîtres pour sa Chapelle Royale, dont le jeune Michel-Richard de Lalande (1657-1726). Héritier de la tradition orchestrale française, tout en sachant innover, il devient vite le musicien favori du roi. D'autant que sa majesté porte une attention grandissante aux affaires religieuses, au détriment de son ancienne faveur auprès de son surintendant de la musique, Jean-Baptiste Lully (1632-1687).
Officiant jusqu’à la fin de sa vie, Lalande compose 77 grands motets qui n’ont cessé d’être rejoués jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Pour cet enregistrement, capté lors de deux concerts à la Chapelle Royale de Versailles, Vincent Dumestre choisit d’interpréter les premières créations du jeune musicien. Deux ans avant son entrée en fonction, celui-ci prend déjà pour modèles les œuvres des maîtres de Chapelle Henry Du Mont (1610-1684) et Pierre Robert (vers 1620-1699) pour écrire son premier motet Deitatis majestatem (majesté de la déité). En 1683, l’une de ses premières œuvres pour la messe du roi est une mise en musique du Psaume 133 Ecce nunc benedicite (bénissez maintenant). Enfin, hymne royal par excellence, son superbe Te Deum, commencé en 1684 et révisé de multiples fois jusqu’en 1720, atteint une perfection qui marque longtemps la pratique liturgique royale.
Dès les premières mesures du Deitatis majestatem, les musiciens du Poème Harmonique révèlent l’attention extrême de leur chef quant à l’homogénéité et l’équilibre de l’ensemble : bien que l’on puisse distinguer chaque partie –particulièrement les basses qui ont ici de superbes fonctions mélodiques et expressives–, le son d’ensemble ne fait qu’un. L’équilibre est tout autant soigné lorsqu’un soliste prend la parole. Cette capacité d’adaptation au discours musical est également efficace lors de changements d’atmosphères, parfois pourtant brèves, notamment dans le Ecce nunc benedicite : le subtil mais indéniable contraste attise de suite un intérêt nouveau chez l’auditeur. Dans le Te Deum, si les instrumentistes sont capables d’un raffinement dans la majesté de cette belle musique, particulièrement dans la première partie « Te Deum laudamus » (À Toi, Dieu, notre louange) avec trompettes et rythmes surpointés (croche pointée-double croche) à la française, ils se montrent aussi d’une douceur touchante, dans le « Tu, devicto mortis aculeo » (Tu n’as pas craint de prendre chair) par exemple. Au-delà même des élans musicaux qu’il peut insuffler à son ensemble, on sent le métier de Vincent Dumestre, qui est luthiste, exhortant parfois les basses à avancer, imperturbablement, malgré les éventuelles envies des solistes (surtout masculins) à s’épancher sur leurs si beaux chants. Il faut saluer les quelques interventions, discrètes mais si appréciables, d’instrumentistes solistes, comme les très jolies flûtes à bec lors du « O caro Christi vera » (Ô chair vraie du Christ) et le violon dans le « Hic enim misericors » (Voici celui miséricordieux) ainsi que le magnifique basson dans la partie centrale du Ecce nunc benedicite.
Le Chœur Aedes, très homogène lui aussi, se mêle parfois au son de l’orchestre, sublimant avec un véritable délice les harmonies de l’écriture polyphonique de Lalande. Le travail de l’ensemble vocal est patent, bien que l’on souhaite peut-être encore plus de perfection dans la prononciation des syllabes au sein même de certaines phrases.
Parmi les quatre solistes, la soprano Emmanuelle de Negri fait entendre une voix claire, un discours toujours fluide et naturel et même tout à fait émouvant dans le « Tu, devicto mortis aculeo » du Te Deum. Son timbre se mélange très bien avec celui du haute-contre Sean Clayton dans le « Dignare, Domine, die isto » (Daigne, Seigneur, en ce jour). Celui-ci se marie tout aussi bien en voix de ténor avec les deux autres voix d’hommes dans le « Miserere nostri » (Aie pitié de nous) qui suit. Le ténor Cyril Auvity chante avec de belles intentions et des ornementations à la fois riches et pleines de naturel, notamment lors de la cadence du « Et rege eos » (Dirige les tiens). Si le trio masculin fonctionnait à merveille, les timbres semblent étrangement moins homogènes entre le ténor et la basse André Morsch lors du « Tibi omnes angeli » (Devant toi se prosternent les archanges). Lors de ses interventions solistes, la basse semble effectivement manquer d’assurance dès le médium, souffrant d’une d’étroitesse dans sa voix et la conduite de son chant.
L’acoustique généreuse de la Chapelle Royale de Versailles étant connue, il faut saluer la qualité de la prise de son, qui préserve les agréables résonances et les pare des silences de cette musique à jamais majestueuse.