Dolce Duello par Cecilia Bartoli et Sol Gabetta
Il ne faut pas juger un livre par sa couverture, ni un disque par sa pochette. Si les photos illustrant cet album laissent imaginer un programme de chansonnettes italiennes (et laissent songeur quant à la possibilité de faire du vélo avec un violoncelle à la main), le contenu est tout autre, et d'une grande qualité.
Derrière la pochette qui présente les deux artistes en pin-up mordant des pailles dans des décors rose bonbon, des ciels bleus sur des pages acidulées, derrière ce kitsch dépareillé, se cache un album délicat (au point que l'auditeur aura l'impression d'avoir commis cette erreur fréquente qui consiste à ranger le disque dans une mauvaise boite). Notons d'ailleurs combien il est étonnant de lire des explications musicologiques raffinées détaillant le répertoire savant des XVIIe et XVIIIe siècles sur un papier pistache et citron.
Le siècle des Lumières raffolait de duels, notamment de ces compétitions musicales pour la beauté de l'art, la période vit donc fleurir ce genre du duel/duo virtuose et poignant que les compositeurs baroques nommaient "obligato" (air avec un instrument obligé : ici le violoncelle).
Les deux femmes en présence rivalisent de talent, accompagnées par l'Ensemble sur instruments d'époque Cappella Gabetta (du nom de son directeur et frère de Sol : Andres Gabetta). Le dialogue entre les deux merveilleuses artistes semble balayer toutes les émotions mais aussi toutes les formes possibles : elle "chantent" ensemble ou se répondent, s'imitent ou s'opposent, échangent leurs thèmes, nuances et leurs effets. Les lignes se mêlent à l'unisson, se meuvent à la tierce, à la sixte, forment des cadences et des contrepoints. Lorsque les sons divergent, ils ne s'opposent ni ne se confrontent jamais.
La Bartoli semble retenir autant d'intensité et de souffle que ce qu'elle dispense et disperse.
L'auditeur retrouve sa voix agile et vibrée, mais légèrement couverte et engorgée pour ce répertoire raffiné et allègre où elle cherche une couleur assombrie.
Pour "rivaliser" avec une telle chanteuse, il faut une interprète de tout premier choix et l'album sait astucieusement mettre en avant les qualités solistes du violoncelle. Grâce à Sol Gabetta, les deux interprètes principales peuvent entrer en dialogue (et absolument pas en duel).
Tous les accompagnements sont même transformés en concerto pour violoncelle. L'ensemble s'efface derrière cet instrument, l'arrangement, l'interprétation et l'enregistrement renforçant la présence, la projection et le volume de Sol Gabetta. Le continuo est donc complètement déséquilibré mais il permet certes d'apprécier les dons de la violoncelliste dans les parties effectivement concertantes, soutenues par des instrumentistes qui savent se faire aussi délicats qu'ils doivent être discrets.
En harmonie, à l'unisson avec la voix, en sympathie (terme qui désigne deux cordes vibrant à la même fréquence), le violoncelle émeut, faisant vibrer toute l'épaisseur et la longueur de ses cordes et de son crin. Bartoli en fait autant de ses cordes vocales par une ligne longue et riche en harmoniques de toutes fréquences.
Les 10 minutes de la première piste donnent la mesure du répertoire choisi, du souffle des interprètes et d'un drame qui se tisse tout au long d'un siècle et de 11 morceaux. Un duo qui fait des étincelles et offre l'occasion d'une impressionnante tournée mondiale dont une étape à la Philharmonie de Paris le 4 décembre 2017.