Étonnante(s) voix de Lucie Peyramaure en récital à Bordeaux
Les midis musicaux de l’Opéra National de Bordeaux sont des rendez-vous que le public apprécie tout particulièrement, à en juger par la file de spectateurs qui se dessine sur la place de la Comédie avant l'ouverture des portes. Ces récitals de chant à la pause méridienne, courts et légers (ou pas tant que cela), permettent de faire entendre les voix qui passent par Bordeaux dans les productions en cours, ou de faire découvrir les futurs talents de la scène lyrique dans le cadre d’une forme courte et intime sous les ors du Grand-Théâtre.
L’Opéra de Bordeaux n’ayant pas de production en cours en ce moment, c’est une invitée particulièrement prometteuse qui foule l’avant-scène couvrant la fosse : Lucie Peyramaure. Avant elle, au piano, s’installe Charlotte Bonneu, cheffe de chant collaborant avec des artistes tels que Natalie Dessay, Roberto Alagna ou Cecilia Bartoli. Son jeu est orchestral pour le moins, capable de nourrir l'intensité de la voix de Lucie Peyramaure avec une générosité et une écoute de tous les instants, particulièrement dans les tempi lents, où les souffles ne semblent jamais tarir. Le fait qu’une pianiste de cette envergure accompagne Lucie Peyramaure est un premier indice sur la qualité du concert à venir, et peut-être de la carrière de cette chanteuse à la personnalité vocale étonnante.
Le programme de salle interroge en effet : à côté d’airs clairement identifiés pour soprano (“Vissi d’arte” extrait de Tosca, “Dich, teure halle” extrait de Tannhäuser), il affiche des partitions écrites pour des rôles de mezzo-soprano (Hélène dans La Belle Hélène d’Offenbach, Charlotte dans le Werther de Massenet). Il semble que Lucie Peyramaure ait choisi de montrer toute l’étendue de sa voix au public bordelais, comme elle le fait avec les vidéos en ligne qui attestent d’un profil vocal pour le moins étonnant, entre deux tessitures.
L’une de ces vidéos est extraite de son passage remarqué au Concours International de Marmande en 2022 (l'air "Suicidio" de La Gioconda). Elle y avait alors emporté pas moins de quatre prix (Grand Prix, Prix du Public, Prix du Théâtre de Meiningen et Prix Lyrichorégra). Une prestation mémorable, peut-être encore à l'esprit de certains spectateurs de ce récital Bordelais.
À entendre les enchaînements entre les deux vocalités, le timbre surprend par une couleur claire et un placement assez haut pour le répertoire choisi, probablement adopté par Lucie Peyramaure pour faciliter la montée dans des aigus brillants et amples sur les airs de soprano. L'aigu final de Vissi d’arte laisse paraître une grande facilité dans le registre haut de la voix. Pour autant, c’est le grave qui semble le plus installé dans la technique de cette jeune chanteuse. Puissantes, larges mais jamais engorgées, les descentes impressionnent, particulièrement dans les deux Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d'un compagnon errant) de Mahler (Ging heut’ Morgen über’s Feld et Ich hab’ ein glühend Messer), à l’écriture vocale idéale pour la voix polymorphe de Lucie Peyramaure. Le passage entre les registres est très bien lissé, et laisse entrevoir une voix saine, durable comme la bonne tenue d’un vibrato au battement régulier et stable. Lucie Peyramaure a trouvé le bon compromis entre la souplesse et l’expressivité.
Le public bordelais semble conquis par la découverte de cette jeune chanteuse, qui revient saluer plusieurs fois sous des applaudissements nourris. Ceux qui l’avaient entendue à Marmande (proche de Bordeaux) l’ont vue sous un nouveau jour, et ceux qui fréquentent assidûment le Grand-Théâtre ne manqueront pas de guetter la saison prochaine, pour voir si Lucie Peyramaure en fait partie…