Loïc Lachenal sur la Mission lyrique nationale : "Marquer une nouvelle étape, historique"
Loïc Lachenal, vous participiez aux rencontres professionnelles organisées avec Roselyne Bachelot et Jean Castex ces derniers jours, comment appréciez-vous l'action de la Ministre pour l'opéra ?
Roselyne Bachelot a joué son rôle de Ministre de tutelle : clarifier la gouvernance, poser un cadre pour le projet de l'Opéra de Paris et pour les opéras en France. Il faut la remercier d'autant plus qu'il est rare qu'une Ministre de la Culture (a fortiori ainsi soutenue par le Premier Ministre) s'investisse autant pour l'Opéra.
Qu'attendez-vous de la mission sur les opéras en France qu'elle a confiée à Caroline Sonrier ?
Les lettres de missions préciseront beaucoup les enjeux et contours de cet état des lieux qui doit dessiner un cadre et formuler des propositions, mais nous attendons que cette étude soit l'occasion pour l'État (qui est monté tardivement dans ce train de l'aménagement culturel) de jouer pleinement son rôle : accompagner, participer, structurer, questionner et revoir de manière bienveillante et stratégique le paysage lyrique français. C’est ce que nous constatons pour le moment dans les échanges avec la Ministre. Une vision stratégique et de développement Étatique doit renforcer encore davantage le crédit et l'assise sur le terrain de nos maisons car elles sont largement soutenues par les collectivités territoriales.
Ces annonces doivent marquer une nouvelle phase, elle est très attendue et même historique car elle doit s'apprécier d'après l'histoire de nos institutions. Les maisons d'opéras précédaient l'existence du Ministère de la Culture, et elles étaient déjà "subventionnées" (même sous l'Ancien Régime). Pourtant, à la différence du théâtre et de la danse, mais aussi du répertoire symphonique, l'État a été le grand absent concernant les besoins de structuration de l'Opéra à travers le territoire : le plan Landowski (plan décennal lancé en 1977 par le premier Directeur de la musique, depuis Lully) a structuré la France des grands orchestres en région, mais ce travail n'a pas été fait pour l'Opéra.
Les maisons se sont donc toutes développées individuellement avec de vraies différences dans leurs missions et modes de gestion (il faut attendre 1996 pour avoir un premier Opéra National en Région : celui de Lyon et il n'y en a eu que quatre autres depuis). Les structures sont donc bien plus homogènes en termes d'organisation et de moyens dans les autres disciplines grâce aux Scènes Nationales, Scènes Conventionnées, Centres Dramatiques Nationaux, Centres Chorégraphiques Nationaux.
Il a en fait fallu attendre la fameuse Loi LCAP (Loi relative à la liberté de la Création, à l'Architecture et au Patrimoine) en 2016 pour que l'État revoie le cahier des charges des labels opératiques, sous notre impulsion avec les Forces Musicales. C'est à ce moment (très récent donc) qu'a été créé le label Théâtre Lyrique d'intérêt national (accordé à ce jour à Rouen, Lille et Dijon).
La Ministre a rappelé la grande diversité de statuts des opéras à travers la France (de l'association ou régie municipale directe à l'établissement public), une harmonisation serait-elle souhaitable ?
La question de l'harmonisation se pose, celle de la diversité se respecte aussi : les différents statuts des opéras sont le reflet des histoires. Il faut faire attention au cadrage uniforme, il nous faut une analyse fine mais tout mérite d'être questionné avec les territoires (la décentralisation leur donnant des capacités nouvelles). Il est possible d'homogénéiser le secteur de l'Opéra dès lors qu'il est subventionné également par l'État mais il faut concevoir cela avec les élus territoriaux et selon la réalité des territoires et des théâtres.
Renforcer l'ouverture, la modernité, la découverte, l'accueil de nouveaux publics dans nos maisons sont autant de valeurs que la Ministre a bien rappelées mais sur lesquelles nous n'avons pas à rougir (tant nous faisons déjà). Une structuration globale, performante, pertinente et plus homogène aidera cependant tout le monde : la diversité actuelle n'aide pas les politiques qui nous gouvernent, or il est bon de pouvoir aussi comparer les maisons pour adapter l'action. Les statuts doivent permettre de travailler.
Dans cet esprit de collaboration et de rationalisation, l'idée doit-elle être notamment de vous demander encore davantage de coproductions ?
C'est le point sur lequel nous serons vigilants, car en termes de mutualisation et de modèle économique aussi nous avons déjà fait beaucoup. Très peu de maisons peuvent désormais s'autoriser à lancer des productions seules sans partenaires. Nous sommes presque allés au bout d'une forme d'optimisation et il faut donc faire attention aux fantasmes d'aller toujours plus loin. Les coproductions sont déjà là, vertueuses et nous continuons à y travailler mais il ne faut pas forcer des immenses chantiers lyriques avec des orchestres ou décors énormes pour des théâtres qui n'ont pas la place de les installer en fosse et sur scène.
Fédérer le secteur autour de valeurs communes nous permettra de nous retrouver encore davantage sur des projets artistiques. C'est aussi pour cela que l'Opéra de Rouen travaille encore davantage avec ses confrères depuis sa labellisation.
Quel bilan tirez-vous du label Théâtre Lyrique d'intérêt national et la nouvelle mission doit-elle se pencher sur cette question ?
Ce label est encore tout neuf. Lorsqu'il a été créé, il a permis à l'État d'agir pour la première fois depuis fort longtemps à ce niveau (servant donc aussi à rappeler que la structuration du secteur peut évoluer). L'enjeu global est de construire une carte de France, un réseau d'institutions lyriques confortées dans leurs missions et complémentaires. Ces labels doivent aussi évoluer : quelques opéras nationaux et théâtres lyriques d'intérêt national ce n'est pas assez pour construire un réseau fort. L'enjeu est donc d'accompagner les maisons pour les voir grandir.
La reconnaissance comme Théâtre Lyrique d'intérêt national est très loin d'être un pis-aller mais dans la partie d'échecs que nous poursuivons, cela montre aussi que nous n'avons pas réussi à faire bouger les lignes du label Opéra National. Je comprends tout à fait leur démarche mais certains ne voyaient le label que d'un point de vue social et d'organisation du travail (avec orchestre, chœur et ballet permanents). Pour les responsables d'institutions, nous voulions surtout regarder l'aspect culturel et artistique (permettant de produire et commander des œuvres) en les déployant sur le champ pédagogique et social. Sur ces points, le label est pertinent avec son cahier des charges qui combine habilement des actions.
Quant à la question de l'apport économique dans nos maisons, la Ministre a rappelé combien la subvention varie d'une institution à l'autre : une clarification et une montée en puissance en lien avec les labellisations sera aussi bienvenue.