43% de concerts annulés en 2020, selon une Enquête de la FEVIS
Cette Enquête "Les Ensembles Indépendants face à la crise" menée du 29 avril au 12 mai 2020 a pu recueillir les réponses de 91 ensembles musicaux indépendants (orchestres, chœurs, petites formations nés de l'initiative personnelle d'artistes et qui n'occupent pas d’emploi permanent) parmi les 155 que compte la Févis (Les Arts Florissants, Les Talens Lyriques, Aedes, Cappella Mediterranea, De Caelis, 2e2m, Correspondances, Insula, L'Arpeggiata, Le Banquet Céleste, Le Poème Harmonique, Les Ambassadeurs, Les Cris de Paris, Les Métaboles, Les Siècles, Pygmalion, Vox Luminis...)
43% de représentations ont été annulées (40% en France, 54% à l’étranger) : soit 1282 sur les 3012 événements inscrits par les ensembles de la FEVIS à leur agenda en 2020. D'autant que l'enquête se concentre sur les représentations effectivement annulées de mars à juillet (incluant 1/5 de ces annulations qui sont "fort probables" mais excluant les reports), l'institution estime donc que le nombre global d'annulations pourrait encore doubler. Tout cela dépendra du déconfinement au mois d'août et à la rentrée.
Les annulations impliquent et entraînent toute une série de suppressions : 1394 jours de répétitions et 54 jours d’enregistrements. "Le cumul actuel de jours de travail de représentations, de répétitions et d'enregistrements annulés est donc de 2.730 jours. De manière cumulée, cela concerne 891 productions pour 11.704 contrats de travail individuels."
La perte de chiffre d'affaires dépasse les 11 M€, s'approchant de la moitié (45,6%) des budgets globaux. Les pertes sèches sont de 2,2 M€. Les Directeurs de théâtres et d'ensembles indépendants nous signalaient précisément les soucis causés par ces restes à charge, impondérables à payer même si l'activité partielle est prise en charge et même si les salles de spectacles versent des indemnités. D'autant que seulement 6,7% des représentations annulées ont fait l’objet d’une indemnisation par les salles.
Que fait alors l'ensemble ? Nous avons interrogé les Déléguées Générales et Directrices administratives ou financières de prestigieuses formations, qui nous répondent qu'il faut alors "trouver une solution de gré à gré avec les artistes et renégocier le cachet. C’est la solution qu’ont majoritairement trouvé les ensembles et qui a été souvent très bien acceptée par les solistes à partir du moment où elle était discutée et pas imposée violemment. Soit la production était déjà en cours, il fallait alors proposer des avenants aux contrats, soit la production n’avait pas encore commencé et cela pouvait se traduire par des transactions." Ces transactions, sur lesquelles les ensembles et les artistes ne souhaitent pas s'étendre, sont bien connues du monde de la culture, elles sont monnaie courante même en-dehors de cette période de crise : les interprètes et leurs employeurs se mettent d'accord pour adapter, affiner le nombre d'heures et le niveau du cachet déclarés selon les besoins de chacun (notamment pour les artistes qui ont besoin tout au long de la saison de plus d'heures pour obtenir le statut d'intermittent ou bien pour être mieux pris en charge dans ce contexte de crise, vu le plafond d'activité partiel à 3,15 SMIC horaires).
Ces ensembles rappellent la différence entre leur situation et celle des maisons d'opéra (ce que nous confirment d'ailleurs les maisons d'opéra) : "les ensembles payent tous les jours de répétition + un cachet par représentation, tandis que la maison d’opéra négocie un gros cachet comprenant le tout. Pour prendre un cas d'école : là où un ensemble va indemniser pour 40 jours (30 jours de répétition et 10 dates par exemple), la maison d‘opéra ne va la verser que sur 10 jours. Ironie de l'histoire, beaucoup de solistes se plaignaient de notre fonctionnement d'ensemble, car le cachet de répétition est moins 'glamour' qu'un gros cachet de production, et car nous leur enlevions donc des cachets s'ils arrivaient en retard aux séries de répétitions alors qu'ils pouvaient négocier avec l'opéra d'arriver plus tard... mais en temps de crise notre fonctionnement a sauvé beaucoup de solistes qui se sont vu proposer des indemnités bien plus élevées."
Alors, que faire pour l'avenir, outre espérer que les concerts reprennent, que les annulations s'arrêtent ? Renforcer ou au moins pérenniser les subventions de fonctionnement (pour qu'elles ne descendent pas sous les 10% de ressources), trouver de nouveaux mécènes individuels (les grands sponsors sont marqués par la crise), consolider les partenariats avec les institutions, sur tous les plans (productions, diffusions, contrats de cession), sauver le "crédit d'impôt spectacle vivant" ("les arbitrages rendus le mois dernier sur ce dispositif sont extrêmement inquiétants et mettent en danger nos entreprises en favorisant l'endettement et en freinant la reprise"), enfin "le tout gratuit dans l'audiovisuel doit absolument cesser ! La musique a été évincée des antennes. Nous sommes depuis plusieurs années dans une situation où nous devons payer pour exister sur les chaînes et les plateformes ! On nous demande de nous réinventer dans ces formats numériques : mais comment le faire sans moyens, sans droits pour les artistes et sans chaînes qui ont envie d'oser un peu d'exigence pour leur public ? Nous sommes seuls dans cette bataille et cela risque de s'aggraver encore ces mois-ci où beaucoup de partenaires médias nous demandent de plus en plus de captations gratuites."
"Nous avons besoin d’un renforcement de dispositifs comme le crédit d’impôt, une mesure souple qui fonctionne comme une aide au risque et à la prise de décision et nous en avons besoin en cette période ! Nous avons besoin également de soutien sur les projets que nous montons en urgence cet été et qui n’ont aucun modèle économique stable. Si rien n’est fait, c’est un retour en arrière dramatique à l'autoproduction", conclut la responsable d'un ensemble que nous avons pu interroger à plusieurs reprises durant la crise.
Cette directrice nous dresse même un classement des modalités d'organisations d'événements dans l'ordre du plus précaire au moins précaire les concernant :
- L'autoproduction (il faut tout gérer sans aucune recette assurée en face : l'ensemble est seul à produire le concert dans un lieu loué ou mis à disposition "qui n’assume même pas la logistique, la billetterie, et n’a souvent pas l’habitude d’accueillir des concerts")
- La co-réalisation (risques partagés avec le lieu, généralement avec un partage de billetterie)
- La cession (le spectacle est vendu, la rentrée d'argent assurée en amont pour l'ensemble)
- La coproduction (le lieu s'investit en outre dans la création)
"La période va voir beaucoup d’auto production très certainement. Tout l'été nous allons contacter plein de lieux qui n’ont jamais fait de concerts, en l’absence des salles et festivals qui ont annulé. Les petits lieux, privés surtout, sont plus enclins à nous aider pour la relance alors que les réseaux officiels de spectacle ont fermé le rideau. On négocie avec des moines dans une abbaye, avec des éleveurs de chevaux dans un haras, avec un châtelain qui nous ouvre ses portes, avec un permaculteur qui nous accueille dans sa grange, c'est sympathique et cela change, mais c’est un nouveau métier bien plus risqué !"
Ôlyrix vous apporte une information complète sur la situation : pour retrouver les explications et les points de vue des Directeurs c'est ici, pour la situation des solistes c'est là