Cachets de spectacles annulés à l'Opéra de Paris : des artistes se tournent vers les Prud'Hommes
Quatre jours avant le confinement, à la suite de l'annonce d'une limitation de la jauge à 1000 personnes dans les théâtres, entraînant déjà la première vague d'annulation des productions à l'Opéra de Paris, son Directeur général adjoint nous expliquait que les discussions relatives au paiement des cachets des artistes étaient en cours.
Ôlyrix a pu échanger avec des artistes engagés sur ces productions annulées et ils nous dévoilent ce que furent pour eux ces discussions. Concernant des artistes qui étaient au milieu des répétitions lorsque l'interruption des spectacles a été décidée, ils nous racontent avoir reçu la visite du Directeur Stéphane Lissner sur le plateau (un geste de correction apprécié et souligné par l'un des artistes), mais suivie par un courriel "surréaliste" du Directeur de casting Ilias Tzempetonidis : « Le premier message ne mentionnait aucun dédommagement, il ne faisait que confirmer l’annulation, sans préciser le contexte juridique. Le deuxième message proposait un dédommagement d’un seul cachet (sur la douzaine prévue). La dernière proposition correspond à environ 20% de la rémunération initialement prévue. »
Selon nos estimations, cela représenterait en l'occurrence environ 1.000 euros par représentation annulée. Une proposition inacceptable en tous les cas pour les artistes, l'un d'eux se faisant leur porte-parole auprès de nous : « C'est une somme extrêmement éloignée ne serait-ce que des 70% que le gouvernement a annoncé comme maintien des rémunérations, y compris pour les contrats d'artistes [ce maintien des rémunérations lié au dispositif de chômage partiel est toutefois plafonné, ndlr]. Alors nous avons engagé une avocate. Elle ne connaissait pas le monde de l'opéra et elle a trouvé la proposition sur le fond comme sur la forme "hallucinante d'amateurisme" ».
Retrouvez notre grand Dossier sur les rémunérations des artistes en ces temps de crise
Des artistes embauchés sur les spectacles programmés d'ici à la fin de saison ont été très choqués d'apprendre par eux-mêmes leur annulation, et de devoir contacter l'Opéra de Paris de leur propre initiative. Pour ces productions dont les répétitions n'avaient pas encore commencé, ils nous disent essayer de négocier un ou deux cachets de représentation en dédommagement, au mieux. Depuis (très récemment), des propositions ont été faites par l’Opéra de Paris, sans possibilité de négociation, et correspondant à de "faibles pourcentages" (selon des artistes concernés et leurs agents) des rémunérations négociées. "On serait en droit d'attendre que l'Opéra de Paris soit exemplaire, pour ce qu'il représente et les moyens dont il dispose. Il est l'inverse", résume l'un d'eux, artiste de renommée mondiale.
L'Opéra de Paris, interrogé par nos soins, explique que ces propositions ne font pas l'objet de négociations mais qu'une première proposition faite rapidement, lorsque la crise sanitaire a éclaté, a ensuite été ajustée après réflexion, calculs et comparaison par rapport aux autres maisons. Les responsables ne souhaitent pas communiquer sur les chiffres, mais expliquent qu'ils suivent des principes généraux : une indemnité équivalente à un cachet (plus un demi-cachet pour les artistes qui étaient en cours de répétition), à laquelle s'ajoute un montant forfaitaire (ce qui entraîne proportionnellement une meilleure indemnisation pour les petits cachets que pour les cachets plus importants). Cette combinaison permet selon l'Opéra de prendre en compte le niveau du cachet mais aussi de dédommager l’artiste du préjudice lié à cette annulation (le travail d'un rôle et le nombre de spectacles attendus). "Nous ne prenons aucune situation à la légère : même pour les artistes percevant des cachets importants, une telle série d'annulations peut entraîner des situations très compliquées. Mais nous n'avons aucune recette de spectacle pour couvrir ces dépenses."
L'Opéra de Paris justifie ainsi le choix effectué en ce qu'il ne correspond donc pas à l’application littérale de la clause de "force majeure" (entraînant une annulation pure et simple de tous les cachets, comme c'est la règle dans de nombreux pays européens et outre-Atlantique). L'Etablissement Public de la capitale (qui en tant que tel, ne bénéficie pas du dispositif de chômage partiel) se compare aussi au reste des établissements nationaux, les dédommagements étant plus importants à Paris qu'ailleurs en France en valeur absolue (puisque les cachets sont bien plus importants dans la capitale) mais moindres en valeur relative. L'Opéra souligne également que ses subventions, bien que très élevées en valeur absolue, ne correspondent qu'à environ 40% de son budget, alors qu'elles peuvent monter jusqu'à plus de 70% en région. A ces contraintes s'ajoute une situation financière difficile, avec 40 millions d'euros de pertes estimées pour 2020 (qui s'ajoutent au déficit déjà cumulé fin 2019 du fait des grèves liées à la réforme des retraites).
Nos interlocuteurs parmi les artistes sont les premiers à déplorer la situation : "Evidemment que nos cachets peuvent paraître importants et que nous étions prêts à des efforts mais même 70% représente une perte considérable alors qu'on ne sait pas combien de temps il faudra vivre sur ces cachets : les productions des prochains mois, même de l'année prochaine sont au mieux très incertaines mais bien souvent remplacées ou annulées. Et dans la plupart des maisons internationales c'est alors une perte sèche : un cachet de 0. Alors ceux qui ne peuvent pas se permettre de rétorquer vont devoir se la fermer, se l'écraser. Il faut donc que certains ne se laissent pas faire et fassent jurisprudence."
Les courriers d'avocat ont donc été envoyés à l'Opéra de Paris, l'institution nous dit être restée joignable pour donner des explications, les artistes nous affirment que leurs demandes sont restées lettres mortes, alors l'affaire est désormais engagée aux Prud'Hommes.
Pourtant, artistes et agents insistent et nous affirment qu'ils ne sont pas restés campés sur leurs positions, qu'ils sont prêts à faire des efforts pour ne pas mettre en difficulté le secteur (notamment en sachant qu’à l’étranger la situation est différente et moins favorable). "Mais pour cela il faut que les théâtres présentent des arguments précis justifiant de l’incapacité à rémunérer les contrats annulés à hauteur de 70%. L’Opéra national de Paris n’a absolument pas communiqué ou fait preuve de transparence par rapport à leur possibilité de dédommagements."
"Nous n'avons pas fait une explication de texte, mais communiqué nos principes aux artistes, répond l'Opéra de Paris. Nombre d'entre eux ont déjà accepté ces modalités qui nous semblent raisonnables. Un petit nombre nous ont fait savoir qu’ils les contestaient, comme cela peut arriver dans les relations entre théâtres et artistes invités."
Cette démarche, cette procédure même, tous les artistes nous disent ainsi l'engager à contre-cœur d'autant qu'ils sont bien conscients des risques encourus. Plusieurs artistes ayant intenté des procès par le passé contre des théâtres (notamment à la suite de contrats annulés pour des raisons autres que sanitaires), même après avoir eu gain de cause au tribunal, ont remporté une victoire à la Pyrrhus, se voyant inscrits sur la fameuse "liste noire" de certaines maisons et certains directeurs (l'Opéra de Paris affirme n'être absolument pas dans cette logique de cassure, y compris vis-à-vis des artistes qui iraient aux Prud'Hommes).
Alors les solistes disent se battre pour eux, mais surtout pour les autres, parce qu'eux le peuvent, parce qu'ils ont des carrières établies, que leur situation leur permet de prendre le risque d'un conflit long et dur, de prendre le risque de ne plus chanter à l'Opéra de Paris (de "se griller" comme ils disent et comme c'est déjà le cas dans ce milieu pour plusieurs artistes, pour des raisons très diverses, notamment d'incompatibilités artistiques ou d'humeurs du fait de la maison, ou des interprètes, ou des deux). Dans le monde lyrique, chaque nouvelle nomination d'un Directeur d'opéra est source de craintes et de bonheurs pour différents solistes : s'ils sont en bons termes avec le nouveau directeur ils pourront revenir à l'Opéra, sinon ils n'y seront plus invités puisque le Directeur a très peu de comptes à rendre sur les artistes qu'il engage.
"Il faut sortir de l'Omerta, des pressions insidieuses, des mesures de rétorsion qui nous menacent. Le remède : dire et exposer le rapport de force imposé aux artistes, agir." Même les plus célèbres ne peuvent pas résister seuls, ils se sont engagés à plusieurs dans cette démarche, dans cette procédure désormais judiciaire. Ils résument les objectifs de leur action par trois motivations altruistes :
- Pour les artistes qui ont peur qu'en disant non, en demandant à négocier, à échanger, à parler, en exigeant une part de ce qui leur est dû (qu'en contredisant l'opéra en somme), ils n'y soient plus engagés.
- Pour ceux qui ont dû céder parce que, dans la situation actuelle, le moindre revenu est un besoin vital : ils ne peuvent qu'accepter ce qui leur est proposé, même ce dédommagement très en-deçà de ce à quoi ils pourraient prétendre.
- Pour les jeunes aussi et surtout : "défendre les droits actuels pour les générations futures".
S'ils insistent sur ces motivations, c'est aussi en raison des graves divisions qui menacent de se creuser entre les artistes, entre les différents métiers de l'art vivant, avec les institutions et aussi avec le grand public : pour lutter également contre une image -qu'ils vivent comme caricaturale- du soliste lyrique. Les solistes, musiciens intermittents, même ceux qui reçoivent des cachets parmi les plus élevés sur un plateau, rappellent ainsi la précarité de leur situation. L'intermittence doit être renouvelée tous les ans avec de nouveaux contrats, le "statut" est donc extrêmement précaire et entraîne les plus grandes difficultés dans la vie de tous les jours, même pour les mieux payés qui essayent d'obtenir un emprunt, ou de signer un bail locatif : ainsi cette très célèbre artiste lyrique nous expliquant qu'elle n'a pu louer son logement à Paris que parce que les propriétaires étaient mélomanes, sans quoi son dossier n'aurait jamais été accepté.
Et encore, "heureusement qu'il y a l'intermittence, car sinon les artistes ne pourraient pas survivre" et dans certains pays ils sont ainsi contraints de lancer des appels aux dons. "C'est un autre fonctionnement aux USA mais tout de même : le Directeur Général du Metropolitan à New York a renoncé à son salaire durant cette crise. Ce n'est certainement pas le cas du Directeur de l'Opéra de Paris qui passe des journées entières à travailler avec les personnels de Naples en visio-conférence et à enregistrer des émissions pour leur télévision. Il signe même déjà les documents officiels du San Carlo de Naples en tant que Le Surintendant (Il Sovrintendente) alors qu'il s'était engagé à finir d'abord son mandat à Paris jusqu'à l'été 2021 !". Entre temps Stéphane Lissner a annoncé qu'il quittera l'Opéra de Paris fin 2020, laissant le soin de gérer ce dossier comme les autres à son successeur Alexander Neef.
Or, une carrière d'artiste peut s'arrêter, brutalement, presque du jour au lendemain. Les chanteurs lyriques nous parlent notamment de leurs inquiétudes durant des périodes de fatigue vocale (aussi entraînée par le fait de devoir courir le cachet) et des opérations chirurgicales qu'ils sont parfois obligés de faire. Chaque fois le sort de leur carrière repose alors sur un billard, il est jeté comme une pièce en l'air. Pour certains, plusieurs fois dans une carrière. Alors les cachets de plusieurs milliers d'euros permettent aussi de mettre de l'argent de côté, au cas où. Et puis de nombreux artistes sacrifient des engagements, travaillent moins sur scène afin de se consacrer à d'autres activités : l'enseignement notamment, qui permet une "reconversion" professionnelle, pour garder une dynamique artistique et un revenu sûr. Enseigner, c'est aussi former les générations futures et se soucier de leur devenir, de la situation qui leur sera laissée.
"Je préfère changer de métier que d'avoir peur". Cette phrase, terrible dans la bouche d'un artiste lyrique de renommée mondiale et qui envisage même d'arrêter sa carrière après ce combat juridique, témoigne de la gravité de la situation. Ces artistes disent avoir fait le choix d'entamer une procédure (demandant un investissement en temps, en argent pour payer les avocats, provoquant le stress des longues procédures et des rancœurs parmi leurs employeurs) pour enrayer ce qu'ils décrivent comme un recul constant, répété et s'étendant sur tous les fronts de leurs droits.
"Les cachets des solistes sont de plus en plus bas, certains collègues au sommet de leurs capacités et de leur expérience sont retombés aux cachets de leurs débuts. Et puis nous voyons tous ces jeunes qui "démarrent" (alors qu'ils ont fait sept ans d'études de chant, des années en troupe ou en conservatoire). Et ils galèrent. Ce qu'ils touchent ne permet pas de vivre correctement de son art. Le temps et le niveau exigés pour atteindre une situation confortable s'éloignent de plus en plus. Ils n'ont presque plus de modèles de réussite épanouis pour leur donner un horizon, des perspectives, un but". D'autant que la crise sanitaire devenue crise économique et culturelle laisse déjà entrevoir des baisses supplémentaires de cachets. Les théâtres craignent des diminutions de budgets, de mécénat, de subvention. Des agences nous expliquent ainsi que les théâtres demandent déjà des baisses de rémunération à l'avenir pour les artistes, a fortiori depuis que leurs droits d'intermittents ont été prolongés par le gouvernement jusqu'au mois d'août 2021. Sous-entendu : ils touchent un salaire sans contrepartie (alors qu'il s'agit d'une indemnité) donc ils peuvent faire des efforts, mais alors "on fait payer la crise aux artistes, qui sont la dernière roue du carrosse."
"Les solistes sont pourtant des acteurs essentiels dans les maisons d’opéra et, sans dénigrer le travail primordial de toutes les équipes permanentes, sans eux les spectacles ne peuvent pas avoir lieu. Pourquoi donc ne pas considérer les artistes comme des "salariés" à part entière puisque sans eux le travail des autres est vain ?"
Même les vidéos de spectacles et concerts retransmis gratuitement en streaming pendant la période de confinement et de fermeture des théâtres furent autant de nouvelles occasions pour "rogner sur les droits des artistes". Plusieurs maisons y compris parmi les plus prestigieuses et mieux dotées financièrement à l'international ont ainsi demandé aux interprètes de renoncer purement et simplement à leurs droits à l'image. "Si on lâche ça, son image en plus de ses cachets, qu'est-ce qui nous reste ?" a plaidé une chanteuse aguerrie auprès de ses jeunes collègues. En l'occurrence, les collègues et notamment les jeunes ont "lâché" sur cette question, en échange de pouvoir eux aussi utiliser des extraits de ces vidéos : des extraits de leur propre image, cédée gratuitement. Un processus qu'une des artistes nomme une "Bérézina : si les maisons n'ont plus le respect envers les artistes, il ne restera plus rien".
Le problème de tout ce système, particulièrement révélé ou exacerbé en ce temps de crise, tient ainsi au statut des artistes, dans tous ses rapports avec toutes les autres parties prenantes du monde de l'opéra (et de la culture en général), en raison de la place de l'artiste-interprète et même de son temps d'action dans la chaîne de l'art vivant : « Les artistes sont la variable d'ajustement, précarisés et en même temps pointés du doigt. Comme nos contrats sont négociés et qu'ils sont établis en dernier lieu, c'est sur notre gagne-pain que les maisons essayent de rogner. Mais comme, lorsque nous montons en niveau, en compétences et en reconnaissance, nous pouvons alors négocier des augmentations de cachets, alors des salariés, et des syndicats nous voient comme des privilégiés. Il devient même difficile d'avoir de l'aide, du soutien, des conseils professionnels de syndicats pour mener des recours. Nous sommes pourtant de la même maison, de la même "grande famille" ».
"Toutes les relations se compliquent et risquent de s'aggraver à cause de cette crise : c'est terrible de ressentir une division s'installer entre les différentes générations d'artistes, entre les différentes corporations qui devraient contribuer ensemble à créer, à faire de l'art. Tout cela vient, en plus, s'ajouter aux problèmes que nous subissons régulièrement avec des metteurs en scène et des chefs d'orchestre (et personne ne s'intéresse à quels sont leurs revenus à eux, quels cachets ils perçoivent, et si comme pour nous, il existe une rémunération maximale)." Si les solistes signent leurs contrats en dernier, ils doivent donc accepter et se conformer (voire "se soumettre" en certaines occasions nous disent-ils) aux désidératas du metteur en scène et du chef, même s'ils ne sont pas d'accord entre eux, même s'ils ne connaissent pas l'oeuvre ou arrivent en répétition dans "des états seconds" nous raconte-t-on avec force exemples et anecdotes.
Tout cela se combine et se complique avec la perception de l'artiste auprès du grand public. "L'intermittent dépendant d'allocations, il est assimilé à un chômeur et le chômeur est méprisé dans notre société". Et en même temps, "les artistes sont considérés comme des oisifs, des profiteurs privilégiés".
Les reproches tiennent aussi au grand écart de cachets entre différents artistes et aux négociations individuelles, chacun pour soi. "Mais ces écarts sont infiniment plus abyssaux dans la société. Or, on nous demande toujours de la solidarité entre nous et vers le bas", expliquent nos interlocuteurs engagés dans d'autres maisons où il a été demandé aux cachets supérieurs d'en sacrifier une partie pour la redistribuer aux petits cachets. "Mais cette ponction de nos revenus existe déjà : ça s'appelle les impôts, moi je suis très fier de payer plus de 40% de ce que je gagne. Et les mêmes qui me traitent de privilégié me traitent aussi d'imbécile parce que je déclare tout ce que je gagne et parce que je ne fais pas d'optimisation fiscale. Mais quelle mentalité affreuse ! Moi, je n'ai rien caché en Suisse ou ailleurs. Je suis content de contribuer à la société.
De surcroît, a-t-on demandé aux salariés des opéras, à ceux qui touchent 100% de leur salaire en cette période sans (pouvoir) travailler parce que le théâtre est fermé, de faire aussi un effort pour les artistes, pour ceux qui font vivre la scène donc les font vivre eux aussi ? Qui accepterait, qui a accepté une baisse de 30, 40, 60, 100% de son salaire ? Nous continuons à garder un lien de solidarité avec tous les collègues et les théâtres, à participer et offrir des vidéos, des concerts, des interviews sans jamais demander de rémunération ni contre-partie (comme tout le reste de l'année), à filmer des teasers, des pastilles, des bandes-annonces : pour nourrir et faire vivre la culture à la maison, pour garder le lien avec le public en attendant impatiemment de le retrouver dans les salles."
Pourtant, même si le constat est terrible et s'apprête à prendre une tournure juridique, ces artistes nous racontent aussi toutes les riches propositions, les bonnes idées, les beaux élans de solidarité de ce monde culturel : ces spectateurs qui continuent de leur témoigner soutien et affection, de faire même don du prix de leurs billets annulés, rendant d'autant plus important pour eux de savoir "où va cet argent", s'il va aux artistes. "Mais s'il va au fonctionnement de la maison voire même s'ils servent à payer les avocats que l'Opéra dressera contre nous, est-ce la logique de ces dons ?". Les musiciens d'un orchestre d'opéra ont même spontanément décidé de se réunir et de répartir une partie de leurs salaires en faveur de leurs collègues du ballet précaires. Mais ce n'était pas en France. Toutefois, dans l'Hexagone artistique justement, ces chanteuses et chanteurs nous parlent aussi, avec grand enthousiasme et de nombreux espoirs, du Collectif d'artistes lyriques résidant en France "UNiSSON" : cette structure s'est constituée en pleine crise (au milieu du mois d'avril) en une Association pour être force de proposition constructive avec tous les acteurs de l'opéra, mais UNiSSON ne s'implique pas moins dans la défense des statuts et des cachets des artistes (leur lettre ouverte inaugurale dénonçait ainsi les ruptures de contrats). "Dans une période où nous pourrions perdre encore davantage, UNiSSON prépare avec nous l'avenir, nous explique l'une de ses membres, ils font un travail de fond sur tout le système, de A à Z, sur toutes les questions des contrats, des statuts, des protections, des droits, une remise à plat en temps de crise pour une amélioration globale de toutes les situations. L'idée n'est pas du tout de monter les artistes contre les opéras, c'est exactement l'inverse : ce sera autant profitable aux artistes qu'aux employeurs et aux spectateurs."
Du reste, cette crise invite à la créativité, à l'enthousiasme, "peut-être pas à enfourcher des tigres ou chercher du jambon dans la cale (référence aux propos du Président de la République lors de ses échanges avec des artistes avant ses annonces culturelles ) mais certainement à trouver des solutions, proposer des choses : peut-on écouter nos propositions, avoir une attitude de construction, d'imagination ? Pour être force de proposition, il faut que les maisons d'opéra, les festivals, soient à l'écoute, voire à l'initiative aussi. Et puis il faut s'appuyer sur tout ce qui existe déjà, le développer : réinventer, re-inventer".
Mais pour cela les artistes attendent des réponses et des actes du Ministère de la Culture et de l'Opéra de Paris. Ou bien ils iront les chercher auprès du juge.