Concert confiné à la Chapelle Royale du Château de Versailles, nous y étions
Rejoice ! La musique est de retour : cet événement est le tout premier concert à Versailles après le confinement, suivant donc le tout dernier qui y avait été donné avec 100 personnes (nombre maximal autorisé juste avant le confinement) en l'honneur de Beethoven par Les Siècles de François-Xavier Roth, le 14 mars 2020 (trois mois plus tôt, jour pour jour).
Rejoice ! Tel est le titre d'un extrait du légendaire Messie de Haendel, et même "Rejoice Greatly !" aria qui sert de point d'orgue à ce concert du 14 juin 2020. Point d'orgue, précisément, dans le programme de ces retrouvailles musicales qui proposent trois concertos pour orgue. Ces concertos étaient justement conçus par Haendel comme des intermèdes à ses oratorios. Ici, ils servent d'intermèdes aux motets à voix seule et orchestre chantés par la soprano Chiara Skerath.
Point d'orgue aussi car Gaétan Jarry offre une démonstration de virtuosité pour ranimer le nouveau joyau de la maison, le grand orgue positif (modèle imposant de cet instrument qui peut se "poser" et se déposer) du facteur Quentin Blumenroeder, instrument encore flambant neuf baptisé l'année dernière et qui inaugure donc le retour de la musique en sa Chapelle Royale.
Comme à la Philharmonie et à Radio France, l'entrée à Versailles se fait par le côté du bâtiment, par l'entrée des artistes dans le respect et le maintien des gestes barrière et distances sanitaires, le public allant s'installer loin des caméras qui retransmettront ce concert dans une chapelle vide.
Le long silence qui précède l'accordage d'avant le concert est déjà le concert, les retrouvailles avec la musique qui inspirent immédiatement, comme avant, et comme jamais, ces sentiments puissants car contrastés de joie et de douleurs. Le jeu et le chant traduisent ici encore ces contrastes : la joie réciproque des musiciens et des spectateurs à se retrouver rappelle combien la musique a manqué. Les musiciens et les spectateurs sont encore éloignés les uns des autres et entre eux, forgeant un autre contraste, celui de la distance et de la proximité. Le tout parachevé par l'acoustique : le contraste entre la solidarité sonore des instrumentistes et l'amplitude acoustique des lieux : le son aussi, par la réverbération d'une chapelle presque vide, semble respecter la distanciation sociale entre lui-même et ses résonances (rappelant aussi symboliquement combien la reprise a été retardée et combien elle reste encore lointaine).
Comme à la Philharmonie et à Radio France, comme pour tous les mélomanes à chaque fois qu'ils retrouveront l'irremplaçable contact avec le son vivant, le retour à la musique est empli d'émotion et de joie, touchant aussi les artistes jusqu'à la fébrilité : certes, les doigts et les voix ne sont pas encore complètement déconfinés, mais le public noyé par le plaisir de la musique, de la virtuosité et de la sincérité ne prête attention qu'à la qualité des morceaux et au plaisir des retrouvailles. Des fausses notes et sons tendus montrent combien l'art ne peut se pratiquer à la maison et pourtant combien les artistes de ce programme maintiennent leurs choix très ambitieux.
Dans l'enthousiasme, Gaétan Jarry accélère à l'orgue comme il dirige avec fougue les contrastes de l'orchestre, alternant les lumières du piano et du forte. Chiara Skerath offre autant de contrastes, par l'expressivité. La soprano tient la voix droite longtemps avant de libérer et de monter en volume et intensité, ou de redescendre en glissant un peu vers des tenues effilées, haletantes, soupirantes mais qui plongent d'autant mieux dans le drame et les larmes (et même quelque graves). La voix reste d'abord ténue mais toujours de haute tenue, d'émotion sur le médium et mezzo forte, emplissant progressivement l'espace acoustique comme pour représenter le retour de la musique.
Rejoice !
Le Château de Versailles avait rouvert, comme ses Jardins et ses Grandes Eaux, c'est désormais la musique qui résonne à nouveau, avec ce premier concert d'une série de sept événements enregistrés "entre le 14 juin et le 12 juillet 2020 dans les plus beaux espaces du Palais de Louis XIV" pour le label discographique Château de Versailles Spectacles.
Un premier concert, un retour à la musique qui fait également office de temps d'émotion et d'introspection, en hommage à toutes celles et tous ceux qui nous ont quittés. Le Directeur Laurent Brunner dédie ce concert à l'homme de musique (notamment contemporaine) Claude Samuel et à Joëlle Broguet Présidente-Fondatrice de l’ADOR Association des ami(e)s de l’Opéra Royal de Versailles qui aurait voulu un concert aussi radieux et plein de joie. Le second concert de cette série lui est également dédié.
Rejoice !
Rejoice Greatly !