Opéra de Paris : analyse d'une saison 2017-2018 équilibrée
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Dans cette saison 2017/2018 à l'Opéra de Paris, le Répertoire italien se taille la part belle avec 40% du programme (sans compter le Don Carlos donné en version française) : Verdi, à lui tout seul, représente un quart de la programmation avec cinq opus (au total). Les œuvres programmées permettent d'apprécier l'évolution esthétiques de leurs compositeurs depuis les premiers chefs-d'œuvre de leurs catalogues jusqu'à leurs derniers opéras. Seront ainsi donnés un des premiers opéras de Puccini (La Bohème) et son avant-dernier (Gianni Schicchi) ; le dernier opéra achevé de Verdi (Falstaff) ainsi que deux opéras de son milieu de carrière triomphant (d'ailleurs composés la même année : La Traviata et Le Trouvère, puisqu'il s'agit pour celui-ci de la version originale en italien de 1853, et non pas de la version Grand Opéra de 1857 qui aurait été exactement dans la même veine que Don Carlos) ainsi qu'Un bal masqué composé quelques années plus tard.
Ludovic Tézier et Roberto Tagliavini dans le Trouvère par Alex Ollé (© Charles Duprat)
Le Répertoire français est dignement représenté, avec quatre productions aux esthétiques aussi variées que complémentaires, aux tournant des XIXe et XXe siècle : Don Carlos -l'opéra le plus français de Verdi- entrera dans toute la gloire du Grand Opéra à la française, l'intimisme symboliste de Pelléas résonnera avec le drame intime de La Voix humaine et contrastera avec la truculence de L'Heure espagnole (composée par Ravel et d'ailleurs écrite par Franc-Nohain en réaction directe au symbolisme de Pelléas), enfin l'opéra du génie total que fut Berlioz (compositeur, librettiste, auteur, critique) dédié au génie total de la Renaissance Benvenuto Cellini (lui-même dessinateur, orfèvre, fondeur, médailleur, sculpteur et écrivain).
Le Répertoire allemand est également bien représenté et sous toutes ses coutures : fin XVIIIe siècle avec un opéra séria et un opéra buffa de Mozart (La Clémence de Titus et Cosi fan tutte), le "Festival scénique sacré" Parsifal fin XIXe de Wagner, ainsi que le début du XXe siècle avec l'opérette autrichienne en français La Veuve joyeuse de Franz Lehár. Concernant le répertoire germanique, les lyricophiles regretterons toutefois l'absence de Richard Strauss pour la seconde année consécutive, tandis que de longues décennies nous séparent de la dernière représentation d'un opus de Weber. Son chef d’œuvre Der Freischütz, initiateur de l'Opéra Romantique a pourtant été adapté pour l'Opéra de Paris dès 1841 en Grand Opéra à la française (comme le Don Carlos de Verdi), par nul autre que Berlioz (compositeur auquel l'Opéra de Paris dédie un cycle).
Gubanova et Relyea dans le Château de Barbe-Bleue (© Bernd Uhlig)
D'autres traditions seront mises en avant, au premier rang desquelles l'Opéra russe, avec son chef-d’œuvre Boris Godounov de Modeste Moussorgski. La musique contemporaine est bien présente dans cette saison à travers Only the sound remains (co-commandé par l'Opéra de Paris) de Kaija Saariaho et La Ronde de Boesmans. L'oratorio Jephtha de Haendel sera l'unique œuvre baroque complétant le programme (ce répertoire étant vraisemblablement laissé au TCE et à l'Opéra de Versailles, véritables spécialistes du genre). Enfin, deux productions originales donneront l'occasion d'un voyage en Europe centrale : Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók ainsi que De la maison des morts de Janacek.
Notons la touche de légèreté dans cette programmation, avec la présence du comique sous les traits de l'opéra-bouffe italien avec Le Barbier de Séville (Rossini) et Don Pasquale (Donizetti) -tous deux confiés à Damiano Michieletto- mais aussi de l'opérette autrichienne en français La Veuve joyeuse de Franz Lehár.
Du côté des interprètes, Paris peut s’enorgueillir d'attirer les plus grandes stars du monde lyrique : Kaufmann, Alagna, Netrebko, Yoncheva, Garanca, Rachvelishvili, Harteros, Radvanovsky, Tézier, Hampson, Koch (en récital), Terfel, Mattei, Jaroussky, pour ne citer qu'eux ! Certes, toute liste invite le connaisseur, éternel insatisfait, à ajouter quelques absents qu'il aurait souhaité retrouver, notamment DiDonato, Naouri, Arquez, Bou, Deshayes, Florez et Gimadieva, ou bien qu'il attend de voir débuter, comme Lindsey, Teitgen ou Briot.
Pretty Yende en Lucia di Lammermoor à Paris (© Sebastien-Mathe)
Outre les stars d'aujourd'hui, la scène de la capitale sera l'occasion pour des révélations de confirmer un statut de tout premier ordre : Yende, Sierra, Tagliavini, Arduini, Minasyan ainsi que Garifullina sont autant de belles promesses qu'il nous tarde de revoir. D'autres artistes extrêmement prometteurs pourraient tout à fait rejoindre le top lyrique mondial, avec Paris pour tremplin : Tsallagova, Nafornita, Devos, Dreisig, Dupuis, Dennefeld, Majeski, Car, Bernheim, Watson, Iversen, Groissböck, Maxime Pascal, Dolié, Stikhina.
Nos compatriotes auront toutes les raisons au monde de se réjouir en appréciant la fine fleur du chant français : Duhamel, Barbeyrac, Sempey, Fuchs, d'Oustrac, Crebassa, Margaine ou encore Dubois (parmi d'autres que nous attendons les prochaines saisons).
Au pupitre, les chefs d'orchestre engagés sont des références incontournables dans l'opéra (William Christie, le chef principal du Met Fabio Luisi, Bertrand de Billy, Dan Ettinger, Evelino Pido, Maurizio Benini, ainsi que le directeur musical Philippe Jordan qui se démultiplie encore avec 3 opéras sous sa baguette en l'espace d'un mois !), des chefs au talent immense mais à la notoriété plus limitée (Ernest Martinez-Izquierdo, Riccardo Frizza, Esa-Pekka Salonen, Ingo Metzmacher, Vladimir Jurowski, Damian Iorio) mais aussi de jeunes génies prometteurs : Jakub Hrůša (35 ans) en alternance avec Marius Stieghorst (l'assistant de Philippe Jordan), également Maxime Pascal (31 ans), Gustavo Dudamel (36 ans) et son compatriote vénézuelien de moins de 30 ans Manuel López-Gómez, ainsi que Jean Deroyer (38 ans).
Enfin, le trio de metteurs en scène Warlikowski, Michieletto et Guth est assuré de recevoir les prévisibles sifflets que provoquent chez certains leurs visions originales et sans concession des œuvres explorées.
Tous ces artistes et ces chefs-d'œuvre ont de quoi combler les habitués de l'opéra mais aussi attirer de nouveaux publics, ce que l'institution lyrique capitale encourage depuis plusieurs années à travers des politiques tarifaires novatrices. Ces véritables portes ouvertes sur l'opéra à un auditoire extrêmement renouvelé qui vient à la découverte (et de fait grossit d'autant les rangs des futurs habitués) ont eu tant de succès, en particulier les avant-premières à 10 € pour les moins de 28 ans, que c'est un crève-cœur de constater que cette initiative ne concernera plus que 5 productions (De la maison des morts, La Bohème, Benvenuto Cellini, Boris Godounov, Don Pasquale). L'Opéra a cependant décidé de s'ouvrir davantage à un public intermédiaire avec une offre à -40% pour les -40 ans sur 9 dates (une initiative qui rappelle les places de l'Opéra-Comique à 35 € pour les moins de 35 ans et qui permet d'atténuer l'effet seuil en "fin de jeunesse" lors de laquelle les trentenaires se voient couper brutalement tous leurs avantages). Autre nouveauté prometteuse et fort louable : les familles qui n'ont jamais été à l'opéra se verront proposer une représentation à 25 € la place adulte, 10 € la place enfant, accompagnée d'une visite et d'une introduction au spectacle. Les abonnés bénéficieront d'une réduction de 10% pour six spectacles réservés simultanément. Évoquons enfin la réduction de 10% sur les spectacles de juillet (hormis les places debout à 5€) et le service d’échange pour une autre date du même spectacle (au moins 48h à l'avance pour des frais de 10 €).