Rose & Rose à l'Amphi Bastille : ça sent le talent !
En ce samedi soir du 21 janvier 2017, deux choix s'offraient au spectateur franchissant les grandes portes -puis les petits portiques métalliques- de l'Opéra Bastille : monter vers les travées de la grande salle pour assister au retour triomphant du héros Jonas Kaufmann et son ascension vers le Graal (notre compte-rendu de Lohengrin est à retrouver ici), ou bien descendre vers l'Amphithéâtre semi-circulaire, autre théâtre de cruauté et de rédemption, dénonçant le harcèlement scolaire dans Rose & Rose.
Dès leur entrée, les spectateurs investissent l'hémicycle de l’amphithéâtre en détaillant le plateau du regard : un lit, une armoire avec quelques dessins enfantins et en fond de scène une ligne de crêtes acérées et croissantes qui cache les instruments. Les musiciens doivent donc effectuer une session d'alpinisme pour rejoindre leurs pupitres au début du spectacle.
Dans la salle noire, le premier son de percussion est celui d'un ballon rebondissant au sol. Dès que la lumière se rallume, le jeu de ballon s'emballe dans la frénésie d'une cour de récré. Cette énergie sera celle de tout le spectacle, dénonçant la violence du harcèlement scolaire, la combattant dans un crescendo de résistance collective. Les 36 jeunes interprètes du CRÉA d'Aulnay-sous-Bois chantent, jouent et dansent avec implication et justesse. Certes, les voix sont amplifiées, mais les artistes en herbe savent déjà bien projeter, nourrir et ancrer leurs voix remplies d'air. Ils tournent autour de leur victime, la petite Rose, dans des postures menaçantes et créant des mouvements de foule cruelle. Plongée dans une douche de lumière blanche, Rose est harcelée, harassée, elle court sur place dans une fuite illusoire, sur un martèlement de timbales tribales. Le livret éloquent de Valérie Alane la présente meurtrie, isolée, seule au monde comme toutes ces victimes quotidiennes des brimades scolaires, mais l'histoire saura la rendre épanouie et victorieuse en fin de spectacle.
Rose et Rose à l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille (© DR)
La mise en scène de Jean-Michel Fournereau accélère encore le tempo, précipitant les suites de journées identiques, faites des mêmes humiliations pour Rose (dans une réitération de la même journée interminable qui rappelle le film Un jour sans fin). Jusqu'au jour où Rose crie Stop ! Elle se dessine alors un alter-ego sur l'armoire : l'autre Rose qui viendra la sauver. Ce portrait crayonné est d'abord un dessin projeté, qui s'anime ensuite jusqu'à ce qu'une véritable fille transperce la porte de l'armoire. Cet alter-ego vengeur est le portrait craché de la faible Rose, avec sa coiffure à la Fifi Brindacier et toute de rose vêtue (robe, collants et converse assortis). Ce double rappelle la littérature (évidemment Docteur Jekyll et Mister Hyde) et les récits romantiques fantastiques (qui ont notamment inspiré Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach), mais aussi le Ballet (le Cygne blanc et le Cygne noir du Lac des Cygnes de Tchaikovski). L'alter-Rose déploie ses épines pour se venger (notons d'ailleurs le courage de la jeune qui interprète double-Rose : alors qu'un accident lui a totalement immobilisé la jambe droite dans une attelle quelques jours avant les représentations, elle claudique avec autant de célérité que nécessaire, accomplit tous les jeux de scène et exulte même d'une énergie enthousiasmante).
Rose et Rose à l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille (© DR)
Alvaro Bello a composé une partition parfaitement adaptée aux jeunes chanteurs et spectateurs, sans rien sacrifier à la simplicité. Nul doute que les enfants du public retiendraient les thèmes musicaux, si l'occasion leur était donnée de les entendre à nouveau. Les mélodies, belles dans leur simplicité, permettent par cette qualité même l'ajout d'autres lignes, de contrechants en parallélismes. Les jeunes assument ainsi aisément des polyphonies harmonieuses. Le compositeur est également interprète et, de sa guitare, il assoit avec une assurance remarquable le soutien rythmique et harmonique indispensable à toute oeuvre, a fortiori un opus par et pour la jeunesse. La partie instrumentale ainsi assurée, le chef Didier Grojsman dirige surtout les jeunes chanteurs, depuis les hauteurs de l'Amphithéâtre. Il vit chaque seconde de la musique, sautillant, rebondissant, chantant toutes les lignes en playback, surarticulant et donnant à tous ses gestes leurs ampleurs maximales pour être bien compris des interprètes.
Rose et Rose à l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille (© DR)
La partition est très variée et ludique, mais pleinement cohérente. Ses procédés épurés offrent un voyage à travers les styles. Des couleurs de cool jazz mélancolique avec une ballade au piano et les cymbales frottées de balais accompagnent la tristesse de Rose humiliée. La guitare wa-wa et le saxophone funky lèvent l'up-tempo. Des rythmes additionnels à la Dave Brubeck introduisent les chorégraphies hérissées de sauts, de virevoltes et les mouvements de break-dance. Un passage très amusant enchaîne un zapping de radios : Radio Soleil avec accents antillais et musique caribéenne ; Rose Radio girly et punchy ; Culturama parodiant les compositions de Boulez avec deux clones costumés qui posent des questions intellectuelles dans un accent snob ; Radio Rock'n'Roll qui fait danser Rose et Rose sur Quelque chose en toi ne tourne pas rond de Téléphone. On apprécie également une réécriture ludique du thème de James Bond, lorsque le double de Rose recrute ses agents doubles dans la Cour de récré, acquis au "Front de Libération de Rose & Rose". Le plan mené à bien, la Rose qui était au début victime redevient une jeune fille épanouie, exultant même dans une musique de surprise-party, avec chacun des enfants coiffés d'un masque animalier.
Rose et Rose à l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille (© DR)
L'alter-Rose quitte la Rose originelle qui l'avait dessinée et qui lui fait le présent en croquis d'une moto, afin de partir aider d'autres écoliers en difficulté (à l'image de Gérard Klein dans L'Instit). Preuve irréfutable de l'efficacité du spectacle, le public jeune (et moins jeune) reste attentif tout du long, penché vers la scène, tenu en haleine par l'histoire et la musique.
Rose et Rose à l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille (© DR)
Dans un enthousiasme unanime de la salle, les artistes de cette production sont inondés d'applaudissements et d'enthousiastes cris sonores (notamment par les jeunes du CRÉA eux-mêmes, restés sur scène). Visiblement réjouis, les jeunes interprètes prolongent dans les coulisses leurs cris de joie audibles depuis le public.
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